98e
régiment d'infanterie
1914-1918
Avant la Grande Guerre déchaînée en
1914 par l'Allemagne, orgueilleuse et cupide, le 98
e
régiment d'infanterie s'était acquis une noble
gloire. Son passé est écrit en lettres d'or sur
la moire de son drapeau. Wagram, Sébastopol, Lutzen,
Montebello, sont de splendides victoires, récompenses de
rudes efforts et de sévères sacrifices. Et c'est
pourquoi lorsque l'emblème est
déployé, leurs noms peuvent caresser, au
gré du vent, ces 2 mots qui disent toute l'âme
française :
HONNEUR ET PATRIE
Depuis 1850, le drapeau porte à sa lance la
médaille d'or d'Italie. Cette haute distinction
était, elle aussi, pour les soldats de 1914, le
témoin de vertus guerrières que, de toute
nécessité, il fallait tout au moins
égaler.
Si maintenant la hampe du drapeau s'orne de la fourragère
aux couleurs de la Médaille Militaire, si les broderies de
la cravate s'embellissent de la Croix de Guerre à 4 palmes,
c'est que les poilus du 98
e régiment d'infanterie,
officiers et soldats, surpassant peut-être leurs
aînés, ce sont pendant 4 ans jetés avec
tout leur coeur dans la bataille, pour mériter la victoire
triomphale qui sauva la France et la Liberté.
Chapitre
premier
1914
- 2 août-16 septembre
Mobilisation.
(2-5 août)
Aux derniers jours de juillet 1914, la France se voit dans
l'impossibilité d'éviter la guerre que
l'Allemagne a préparée depuis plus de 40 ans et
qu'elle s'acharne à imposer.
Le pangermanisme a décidé de conquérir
le monde, il commencera par la France, son ennemi
héréditaire. Sûr du succès,
il parle haut. Allons-nous encore capituler devant ces menaces ? Non.
Les vexations et les insultes ont achevé de nous
écoeurer. Nous ne voulons pas la guerre, mais puisqu'on nous
y contraint, nous nous dresseront graves et fiers, et
ce sera pour vaincre ou mourir !
Le défi est donc accepté. Dès le 2
août à 0 heure, les multiples
opérations de la mobilisation commencent. Les
réservistes arrivent en foule : on s'habille, on
s'équipe. Les unités se forment et les revues se
succèdent. Connaissance est faite et hautement se manifeste
le besoin et le désir de s'entraider et de s'aimer. Vite et
bien sont les mots d'ordre. Chacun apporte à tout travail
une telle bonne volonté, la méthode et
l'enthousiasme rendent la coopération si étroite,
que l'âme nationale rénovée affirme sa
dignité et sa confiance inébranlable en la
victoire.
Le 3 août, les bataillons ont pris des cantonnements en ville
et le 5, les travaux de mobilisation étant
terminés, les chefs de bataillons passent la revue de leurs
unités en tenue de départ. Le 3
e bataillon
(commandant Gaube), est rassemblé sur la place
de la Mairie. La municipalité en profite pour
inaugurer une statue. La foule est compacte ; le bataillon rend les
honneurs au général Chandezon. On
découvre la statue ; la troupe présente les armes
et un immense "Hurrah ! ! " retentit. Le maire et le
sous-préfet embrasse le général. C'est
l'union sacrée ! On échange l'assurance d'une
victoire prompte et complète.
Départ
et Transport.
(6-7 août)
Le 6 août, les bataillons s'embarquent successivement et
partent. L'émotion est poignante. On souffre et cependant on
est heureux. Et c'est à qui des soldats chantera
à
plus vibrante voix le
Chant
du Départ,
Sambre
et Meuse et la
Marseillaise.
Qui sera jamais trouver et accorder les mots dignes de
célébrer les acclamations bienfaisantes des
foules rangées au long des voies pour voir
défiler les trains ? Les bras sont tendus, les coeurs
battent à plein ; chacun tient à donner aux
futurs poilus du pain, du chocolat, du vin, un gracieux sourire et
même un généreux baiser. Pourquoi pas ?
Les wagons sont fleuris. En y multiplient les dessins et les
inscriptions à la craie :
A Berlin ! Train de
plaisir ! La tête à Guillaume !!!
Et
l'on interpelle
les chefs de gare et l'on plaisante un GVC ! A Paray le Monial les
dames de la
Croix-Rouge distribuent des médailles dont s'ornent les
capotes et képis. On dirait des trains de
pèlerins. Et les convois s'acheminent avec une
régularité aussi parfaite qu'inattendue vers la
bataille aux cris ininterrompus de
Vive la France !
,
proclamant la fierté des coeurs unis et avides d'une ample
moisson de gloire.
Concentration.
(8-9 août)
La concentration des troupes françaises se fera dans les
conditions prévues par le plan de mobilisation ; les
anarchistes ne commettront aucun sabotage.
Le 98
e débarque le 7 août près
d'Épinal, région où les espions
pullulent. Les habitants nous accueillent bien ; la bière
est bonne, on ne s'en prive pas. Nous faisons partie d'une
armée de 5 corps, en voie de concentration, et qui, sous les
ordres du général Dubail, a pour mission
d'atteindre Sarrebourg. Des nouvelles bienfaisantes circulent :
les
boches fuient à notre approche ; nos baïonnettes
les épouvantes. Leur cavalerie n'ose pas se mesurer avec la
nôtre ; nos troupes ont pris Colmar et Mulhouse
.
Qu'attend-on
pour nous mettre en route nous aussi ? Notre désir sera
bientôt amplement satisfait.
Marche
à l'ennemi est prise de contact.
(10-19 août)
Du 10 au 20, nous marchons sous un soleil pesant, dans des flots de
poussière ; nous subirons les arrêts multiples
occasionnés par les convois et l'artillerie ; la soif et la
faim nous tourmenteront ; masqués de sueur, sales,
éreintés, nous dormirons pas à-coups,
au bivouac, sur les routes ou dans les cantonnements
encombrés. La pluie viendra, elle aussi, nous accabler.
Certes, la joie de franchir la frontière, le 17, nous
donnera un sursaut d'énergie. En cette belle Lorraine aux
larges ondulations, avec, dans le lointain, le décor des
bois sombres, nous rêverons de superbes batailles
à la française, drapeau
déployé au front des régiments ;
certes, le grondement du canon ragaillardira nos coeurs ; il est
également certain que la vue des villages ruinés
par l'incendie vivifiera notre haine ardente et sainte contre nos
sauvages ennemis, mais la fatigue sera si excessive que nous nous
plaindrons. Bah ! Autant en emporte le vent ! Comme les soldats du
Premier Empire, nous sommes des grognards, mais, comme eux, nous
marchons quand même et c'est pour une plus grande
épopée.
C'est le 20 août. Il fait un soleil magnifique. Le 98
e va
recevoir le baptême du feu.
De ce combat, comme des autres multiples qui suivront, il serait
intéressant de tout dire. Chacun de nous serait heureux de
se revoir, ici sous les obus, là sous les balles de
mitrailleuses, ailleurs cassant d'un coup de crosse une
tête de Boche ; il nous plairait de retrouver, en un
cheminement pas à pas, les noms des villages et des
tranchées où nous avons senti le vent de la mort
; mais il faut faire court, ne donner que les grandes lignes des
opérations. Aussi bien n'avons-nous pas vécu ces
heures terribles avec assez de calme, pour nous situer
nous-mêmes à tout instant sur les terrains de
lutte.
Dès le lever du jour, le 98
e quitte Hesse, son
très mauvais cantonnement d'une nuit et se porte au Bois de
Yungford. Vers 8 heures, le bataillon Besson (2
e) va renforcer vers
Schneckenbusch, le 16
e régiment d'infanterie fortement
contre-attaqué ; mais insuffisamment soutenu par notre
artillerie, il doit se replier.
À 17 heures, toute la division attaque. Au 98
e le bataillon
Besson, à droite, engage un terrible combat dans
Schneckenbusch, mais ne peut en déboucher. Au centre,
malgré la violence du bombardement ennemi, le bataillon
Gaube (3
e), et le 62
e bataillon de chasseurs à pied
franchissent le canal de la Marne au Rhin. Le bataillon de
Fabrègues (1
er) progresse aussi à gauche. La
fusillade ennemie devient très nourrie. Quand
même, notre ligne de tirailleurs ardents, rampe, bondit,
gagne du terrain, la nuit met fin au combat. À cette
époque, il en était presque toujours ainsi.
Des lueurs d'incendie accusent le repli de l'ennemi. Vainement, on
s'efforce de rétablir les liaisons et de se regrouper. La
nuit est d'encre ; il pleut ; la fatigue est extrême ; depuis
3 jours on a pour ainsi dire pas dormi.
Repli
et Retraite sur la Mortagne.
(21-24 août)
Nous nous replions d'abord sur Hesse, puis sur Nitting. Là,
on se compte. Les pertes en officiers et en soldats sont
très
sévères. Pendant 4 jours, il nous faudra reculer
ainsi. L'encombrement des routes, le croisement des unités
rendront les marches extrêmement lentes et
pénibles. À chaque arrêt, les hommes
s'endormiront. Affamés, ils arracheront des carottes pour
les dévorer ; les arbres fruitiers seront
dévastés.
Mais toutes ces misères ne feront pas qu'on se plaigne outre
mesure. Et à Hardancourt, les soldats baptisés
Poilus
défileront crânement en regardant leur drapeau que
fera déployer le commandant Gaube, maintenant seul officier
supérieur du régiment.
Reprise
de l'Attaque.
(25 août)
Jusqu'au 31, nous ne cesserons d'aller et de venir et de nous battre et
de marcher, et de nous battre encore autour de Saint-Maurice, de
Danvillers et du Bois Fays, pour tenir notre ennemi en échec
et permettre au général de Castelnau d'exploiter
la victoire qu'il a emporté sur le plateau de Malzeville.
Maintenant, nous sommes copieusement ravitaillés. On mange,
on dort, on se refait. Le moral est excellent.
Le lieutenant-colonel Deffis, évacué pour
fatigue, est remplacé à la tête du 98
e
par le lieutenant-colonel Didier.
Xaffévillers.
(9 septembre)
Le 8 septembre, l'attaque générale des positions
ennemies est ordonnée pour le lendemain.
Le 9, à 2 h 30, le 98
e se met en mouvement. Sa mission est
d'enlever Xaffévillers et de pénétrer
profondément dans le bois du Grand-Bras.
Le 3
e bataillon est d'avant-garde. On marche en colonnes doubles
ouvertes. La nuit très noire gêne la progression
et les liaisons, mais nous cache à l'ennemi. Nous surprenons
ses postes de Xaffévillers. Nos sapeurs du génie,
alourdis par leurs passerelles, sont en retard. On entre dans un
ruisseau sans hésiter. Mais une patrouille boche nous
signale à son artillerie de campagne. Les 1
er et 2
e
bataillons, pris sous un formidable barrage, perdent leur
cohésion.
Le 3
e bataillon, accueilli par les feux de l'infanterie allemande
blottie dans les tranchées aux lisièrex du bois,
subit de lourdes pertes. Il progresse quand même et
pénètre dans le bois du Grand-Bras. Il est 8
heures du matin. Toute la journée, il restera ainsi en
flèche, dans une situation critique, car les
régiments qui encadrent le 98
e ont vainement
tenté de se mettre à sa hauteur. Il recevra
l'ordre de se replier, mais ne pour le faire que la nuit. À
22 heures, il arrivera à Saint-Maurice.
Transport
dans l'Oise.
(10 septembre)
Le 11 septembre, après 2 jours de marches rudes, nous
embarquerons à Tahon les Vosges. Où va-t-on nous
transporter ? Nul ne le sait. On nous dit que les Français
ont remporté une très grande victoire sur la
Marne. Mais comment pourrions-nous y croire, nous, qui
malgré nos succès, nous replions sans cesse.
C'était vrai pourtant ! Aussi quelle ne fut pas notre joie,
le 12, à Épinal, quand la lecture de l'ordre du
général Joffre nous confirma la bienfaisante, la
miraculeuse nouvelle.
Débarqués à Creil, nous marchons sur
Clermont. La population nous acclame. Et c'est à qui nous
exprimera de son mieux le désordre de la retraite allemande,
le défilé, pendant 15 heures, de troupeaux
d'hommes éreintés et
découragés. Ah ! leur
Nach Paris
,
avec quel orgueil brutal et il le hurlait naguère ! Ils le
ravalent maintenant. Paris, la capitale du monde, ne sera pas
souillée par les bottes de ces bandits.
Reprise
de contact.
(16 septembre)
Vite, vite ! En route. Il importe de ne pas perdre le contact des
vaincus de la Marne. Les marches seront longues et rudes.
Marchons, il le faut ! Coeurs et jambes sont solides. Nous avons fait
preuve d'une belle énergie, mais nous sommes
appelés
à plus grandes épreuves. Pour tenir noblement nos
promesses, marchons !!!
Chapitre
II
17
septembre - 8 octobre
Combats
de Béthancourt.
(17 septembre)
Le 16 septembre, le 98 cantonne en entier à
Ribécourt.
Dès le matin du 17, l'ennemi s'infiltre par le bois de
Cambronne
et menace de nous tourner. Le 3
e bataillon, rappelé en
hâte de Ribécourt, résiste pendant 3
heures aux
lisières sud de Béthancourt, temps suffisant pour
permettre à un grand nombre d'éléments
de la
division de passer l'Oise au pont de Bailly. Il se replie ensuite sur
un ordre du général de division.
Pendant plusieurs jours, faisant tantôt face à
l'est,
tantôt face à l'ouest, nous tiendrons les ponts de
Montmacq et de Plessis-Brion.
De
Thourotte à Lassigny.
(18-29 septembre)
A S
t Léger, à Thourotte dans la forêt
de Laigue,
nous subirons l'artillerie lourde allemande et nous ragerons de ne pas
en avoir à lui opposer. Nos pertes seront assez fortes, mais
nous tiendrons. Et le 22, nous entrerons dans la bataille pour
Lassigny. Là, nous nous heurterons à la
formidable
organisation défensive que l'ennemi, né prudent,
avait
amorcée au cours de sa marche sur Paris.
Engagés, sans reconnaissance préalable, dans la
direction
de la ferme La Taulette, les 1
er et 2
e bataillons ne peuvent la
dépasser. On s'accroche au terrain ; on creuse des trous qui
deviendront des tranchées. La guerre de taupe, l'abominable
guerre commence.
Bois
des Loges.
(30 septembre)
Le 30 septembre au soir, le régiment se trouve en entier au
Bois
des Loges dont il occupe les lisières nord et nord-est, en
liaison avec le 16
e régiment d'infanterie qui tient Canny,
Fresnières et Crapeaumesnil. Le Bois des Loges est une
position
de première importance. Sa perte découvrirait
Compiègne et la route de Paris. On le sait au 98
e aussi
va-t-on
déployer une activité inlassable.
Pendant la première quinzaine d'octobre, l'ennemi
s'acharnera
sur nous en pure perte. Il prendra tour à tour Beuvraignes,
Crapeaumesnil et Fresnières. Le Bois des Loges sera
menacé d'encerclement, mais envers et contre tout, nous le
garderons.
Combat
des Loges.
(5-7 octobre)
Le 5, les Allemands attaquent le village ; ils peuvent même y
pénétrer, mais une habile contre-attaque
menée par
le sous lieutenant Le Moël nous rend la position et cueille
250
prisonniers.
Le 7, 4 régiments tentent de nouveaux d'enlever les Loges.
Endiablés, nous luttons corps à corps dans les
rues du
village et sur le parapet de nos tranchées. Nos pertes sont
graves, mais nous restons maîtres du terrain en faisant 400
prisonniers. C'est par centaines que les cadavres boches mordent la
terre. Dans la nuit du 11 au 12, une patrouille du 121
e
régiment
d'infanterie, dont un bataillon est venu nous renforcer, trouve parmi
les morts le drapeau du 49
e Poméranien. Cet abandon fait par
l'ennemi prouve à lui seul l'ardeur de la lutte ! Il nous
appartenait, ce drapeau. Le 98
e en revendiquait la
propriété. Le haut commandement promit de citer
le régiment à l'ordre de l'armée. Mais
les circonstances amenèrent l'oubli de cette promesse. En
1918, quand, par 3 autres citations à l'ordre de
l'armée, le 98
e eut affirmé hautement sa
vaillance, le lieutenant-colonel Gaube employa toute sa
ténacité a obtenir la récompense
promise en 1914. Le 98
e fut cité à l'ordre de
l'armée :
Magnifique régiment qui, sous
l'impulsion
ardente du
lieutenant-colonel Didier, a été l'âme
de la défense de la position des Loges pendant les
journées des 5, 6, 7, 8 et 9 octobre 1914. À
capturer à l'ennemi de nombreux prisonniers et lui a fait
subir des pertes telles que le drapeau du 49e
régiment Poméranien a
été relevé devant nos lignes au milieu
des morts et des blessés.
Honneur et Gloire à nos Vaillants Soldats.
8e Drapeau Allemand du 49e Poméranien
Décoré de la Croix de Fer.
Ce drapeau, richement brodé, a été
trouvé par des Soldats du 121e d’Infanterie sous
des monceaux de cadavres allemands, le 11 octobre 1914 devant le bois
des Loges, près Lassigny, dans les tranchées
battues par la 9e batterie du 36e Régiment
d’Artillerie.
Tel qu’il est déposé aux Invalides.
Les dates des 5 et 7 octobre 1914 marquent les 2 faits les plus
glorieux du début du 98
e et plus tard de nouveaux noms sont
inscrits sur les drapeaux, celui du Bois des Loges figurera sur
l'emblème du régiment.
Entré dans ce Bois le 30 septembre, le
98
e y restera plus d'une année.
Il apportera un tel soin à l'organisation et à la
bonne tenue de son secteur, si parfaits seront la discipline, la
vigilance, l'état sanitaire, l'esprit de corps, qu'on
l'appellera :
le régiment du Bois des Loges
et
qu'on se répétera avec fierté cet
éloge du général de Castelnau,
commandant l'armée :
Temps que le
98e
occupera les Loges, je serai tranquille.
Chapitre
III
8
octobre 1914 - 24 février 1916
Organisation
du Bois des Loges.
(8 octobre 1914 - 21 mars 1915)
A dater du 9 octobre, les Allemands ne tenteront plus de nous arracher
les positions des Loges : ils savent que ce serait en vain. Mais pour
se venger, ils ne cesseront de nous prodiguer balles et obus.
Et nous nous installons aux Loges.
Notre premier soin fut d'assainir le champ de bataille. Un millier de
boches y gisaient, sans sépulture. L'inlassable, le brave
entre les braves, le modèle de modestie, le
légendaire Vichy, prêtre, caporal brancardier, se
dévoua au ramassage périlleux et
répugnant des chères pourries. Toutes les nuits,
et pendant des mois, sous la protection de patrouilles, il circule avec
ses brancardiers et ceux du GBG en avant de nos réseaux. Les
premiers morts ramenés sont enfouis dans des fosses
communes. Les autres, ils sont si nombreux, si
décomposés, si puants, qu'on ne peut que les
arroser de goudron et les incinérer pendant la nuit.
La logique et la méthode règlent l'organisation
du secteur. On utilise à plein les effectifs, les bonnes
volontés et les compétences. Les
éléments de tranchées, les trous de
tirailleurs sont réunis et approfondis. La
lisière du bois est bientôt gardée par
une ligne continue où l'on peut circuler à
l'aise, à l'abri des vues et des balles. Officiers et
soldats, nous avions été instruits pour la guerre
en rase campagne. La guerre de taupe nous trouva tout d'abord un peu
désemparés, mais le Français est
né malin. Il y a longtemps qu'on l'a dit pour la
première fois ; il y a plus longtemps qu'il le prouve. Au
98
e on ne connut jamais la routine, l'endormante
uniformité. À peine une amélioration
sera-t-elle trouvée par quelqu'un que tous l'exploiteront.
Les créneaux subiront diverses transformations ; reconnus
inutiles, voire même nuisibles, ils seront
supprimés. Chacun aura alors sa place de combat sur la
banquette de tir pour l'utilisation de son arme à bras
francs.
En arrière sont les PC et les points de ravitaillement. Pour
les atteindre sans danger, on créera les boyaux. Le Bois des
Loges en sera sillonné.
Mais vient l'hiver, le plus terrible ennemi des troupes en secteur. Les
banquettes et parapets de tir s'érosent et
s'éboulent. on clayonne. Les écopes les plus
diverses et les plus imprévues vident boyaux et
tranchées devenus des ruisseaux de boue. Des
équipes de cantonniers font des chemins de rondins. On
organise des ateliers de schlittage et de réseaux. Pour
généraliser dans le régiment les
découvertes intéressantes, une école
de pionniers est créée.
Il serait trop long d'énumérer les travaux si
pénibles et si
variés exécutés au cours de
nuits sans nombre. Aussi bien les poilus de 1914 se souviendront toute
leur vie de l'énergie tenace qu'ils durent
déployer dans leur lutte contre la pluie, la neige, le
dégel, les balles et les obus.
Un régiment en ligne dévore du
matériel. Malgré toute sa bonne
volonté, le service du génie ne peut satisfaire
aux nombreuses et pressantes demandes. "Système D", disent
les poilus. Et ils savent au prix de quel labeur ils purent remplacer
la nichette individuelle par un abri enterré, et
à l'épreuve pour une escouade ou pour une
demi-section.
Les bois souffrirent beaucoup. Les chefs durent se gendarmer pour les
soustraire à une complète destruction.
De tous les points du front, le haut commandement recevait chaque jour
le compte rendu détaillé des
opérations. Ils en tiraient des enseignements qu'il
édictait à toutes les troupes en secteur : ligne
de doublement, postes camouflés, guérites, fils
de fer en quinconce, compartimentage, chemins de rocade, etc...,
emploient toutes les énergies. Cette lourde tâche
eut le précieux avantage de tenir les hommes en haleine et
de
supprimer l'ennui.
Pendant la période agitée d'octobre, les
unités en ligne refusèrent le repos qu'on leur
offrait à quelques kilomètres en
arrière. En diminuant la densité des troupes en
tranchées, le commandement se créa
des réserves. Les bataillons alternèrent pour
aller passer quelques jours au repos. Les hommes purent se
détendre, dormir, se laver. Oh ! se laver, c'est
connaître une des joies du ciel, n'est-ce pas, poilus des
tranchées ?
La coopération du 100
e puis du 70
e territorial
rattachés au régiment et peu à peu
amalgamés, facilita, au début de 1915, le jeu de
ces relèves partielles.
Conchy les Pots jusqu'en juin, et Rolliot jusqu'en septembre 1915,
furent nos cantonnements de rafraîchissement.
La relève !
seuls les combattants, les
vrais, les boueux des
premières lignes, ces pauvres gars que, par
pitié, on envoie de temps en temps, le plus souvent
possible, habiter, à quelques kilomètres des
tranchées, des caves sous des murs
écroulés, connaissent la signification exacte de
ce mot. Quelle science, quel instinct, quelle résignation,
quelles vertues presque surhumaines exigèrent ces
montées ou ces glissements en secteur ! Tu le sais, toi
fantassin, plein de poux, admirable fantassin, qui portais toute ta
garde-robe sur ton dos. As-tu assez peiné, sué,
râlé sous le poids du sac et des couvertures. Les
courroies de tes musettes et de tes précieux bidons te
coupaient les épaules ; tu étais tellement
encombré, tellement large qu'il te fallait marcher de
côté dans les boyaux trop neufs ; tu buttais et
tombais dans les champs de betteraves, tu te cognais aux arbres, tu te
tournais le pied sur les mauvais schlittages ; toi, si bavard, si
indépendant, tu restais à ta place, à
la queue leu leu, dans la nuit, sous la pluie, dans la boue, sous la
neige, pendant des heures, sans lumière, en silence, pour ne
pas éveiller les canons et les mitrailleuses. Un jour vint
où, pour t'épargner des fatigues, on te choya au
point de te transporter en auto-camions. Tu savais ce que cela voulait
dire, et comme les Dieux, dans les tableaux, sont
représentés sur des nuées, toi,
cahoté, en tas avec tes camarades, tu roulais sur les routes
dans des nuages de poussière. Dire tes relèves ?
Impossible. C'est un drame à cent actes divers. Seule, une
extrême fatigue est commune à toutes. Ah ! certes,
tu grogniais . Oui, tu ne te privais pas de grogner. C'est dans ta
nature. Mais tu marchais quand même, parce que tu comprenais
la nécessité de tes efforts. Tu
n'étais pas un numéro, une machine dans la
bataille, mais un homme. À toutes les minutes, tu te voyais
sous les yeux de la France et de tes Aimés et tu tenais
à être digne d'eux. Tu marchais parce que dans la
poche de ta capote, sur ton coeur, tu sentais un gros paquet de lettres
jaunies par la sueur, que tu relieras là-bas, au petit
poste, dans un trou d'obus, à quelques mètres du
boche maudit !
Secteur
de Plessier le Roye
(avril - mai 1915)
Pendant les mois d'avril et de mai, nous tenons le secteur de Plessier
le Roye. Le 1
er juin, nous reprenons le secteur du Bois des Loges.
Le
Bois des Loges.
(1
er juin - 25 septembre)
En juin, le lieutenant-colonel Didier quitte le régiment, le
lieutenant-colonel Frantz le remplace. Relevés en fin de
septembre, nous nous en irons avec regret du Bois des Loges, notre bois
où nous avons lutté contre le boche et contre les
éléments, où nous avons connu les
fatigues les plus pesantes, mais où nous avons,
malgré tout, savourer des heures délicieuses,
toutes fleuries de nos propos gaulois.
En
arrière du front.
Secteur d'Attiches
(26 septembre 1915 - 24 février 1916)
Octobre et novembre nous verront en déplacements continuels
en arrière du front, entre Montdidier et Demuin.
Un jour, nous eûmes l'honneur de défiler sur le
plateau de Malpart devant le général Joffre, le
vainqueur de la Marne,
le Père la Victoire
.
Dans le secteur de la Ferme d'Attiches, de fin novembre à
fin janvier, nous
mettrons à profit l'expérience acquise dans
l'organisation du Bois des Loges. Et quand, le 1
er février,
on nous embarquera en chemin de fer par alerte pour nous transporter au
sud de la Forêt de Compiègne, nous serons frais,
dispos, alertes, le coeur et le corps bien en forme, parés,
comme disent les marins, pour toutes les aventures.
Chapitre
IV
1916
-- 25 février - 15 octobre
Verdun
- Mort-Homme.
(25 février - 17 mars)
La bataille de Verdun a commencé le 21 février.
Le Kronprinz, cette panthère (bêtise
mêlée à la cruauté), a
résolu d'avaler Verdun. Nous lui briserons crocs et griffes.
Les nombreux et formidables combats absorberont beaucoup de divisions.
La nôtre est trop belle pour ne pas être
appelée à l'honneur de sauver la forteresse.
En effet, le 25 février, le régiment s'embarque
en chemin de fer à Pierrefonds et descend à
Revigny. Alors, commence une série de marches sur un sol
dévasté, massacré par les obus,
à travers des villages que les boches ont
incendiés à la main. Et nous atteignons le Bois
Bouchet où, glacés jusqu'aux os, nous dormons
à poings fermés sous nos toiles de tente. Le 11
mars, nous sommes aux Bois Bourrus et le 12, à 4 heures,
nous attaquons le Bois des Corbeaux. Les bataillons s'avancent dans un
ordre parfait, parce qu'ils ont la chance de n'être
bombardés que par des obus de gros calibre. Et ils
franchissent la tranchée de 1
ère ligne
où sont blottis quelques éléments du
139
e et du 92
e.
Mais ils n'ont pas plutôt atteint la crête, face au
Bois
des Corbeaux et à Cumières, qu'ils sont
arrêtés par le feu des mitrailleuses tapies aux
lisières du bois. Il est absolument impossible de
progresser. Nos pertes sont graves. Heureux ceux qui sont morts d'une
mort nette ! Mais n'ayant pas voulu être d'inutiles cadavres,
ils ont tous eu une mort impeccable.
Ordre nous est donné de nous replier sur les
tranchées arrières. Jusqu'au 17, nous irons et
viendrons sur ce sol chaotique. Nous subirons des bombardements, des
tempêtes inouïes d'obus qui brisent les
nerfs et broient la pensée.
À plusieurs reprises, le boche nous attaque avec vigueur,
mais nous l'arrêtons malgré ses seringueurs
d'huile enflammée. Ah ! qu'il est donc vrai ce mot de
Goethe, le plus grand des écrivains allemands :
Notre
peuple, cruel par nature, et que la civilisation a rendu
féroce
. Oui, chaque jour, il s'enfonce davantage
dans les
gouffres du pire : il a besoin de se déshonorer ! Quelle
mentalité ! Quelle
Kultur !
Et c'est
ça le cadeau
que, vainqueur, il nous eut apporté comme un bienfait !
Le 1
er bataillon avait reçu une mission spéciale.
Le 8, il nous avait quittés. Sous les ordres du capitaine
Gullon, remplaçant dans son commandement le commandant
Gaube, nommé lieutenant-colonel du 352
e il avait franchi
les Bois Bourrus et le dangereux carrefour de la Ferme La Claire,
traversé les pans de murs que furent Chattencourt et
progressé lentement, péniblement, en
poussière humaine, jusqu'à ses emplacements
définitifs. Enfin, il tente à plusieurs reprises
d'enlever 2 ouvrages cerclés d'épais
réseaux. Émietté, il se replie sur le
Mort-Homme. Là, c'est l'enfer, le fracas des gros obus dont
les énormes panaches noirs ou jaunes sales
s'étalent comme pour envelopper le mont d'un suaire. Rien
n'y fera. Nous resterons maître du Mort-Homme et des milliers
de boches mordront le sol.
La 2
e compagnie se distingua tout particulièrement au cours
d'une de ces terribles journées. Elle fut
récompensée par cette citation à
l'ordre de l'armée :
Après avoir subi un bombardement sans
précédent, pendant 4 jours, la 2e compagnie, sous
les ordres du sous-lieutenant Sénéchaut,
blessé au cours de l'action, s'est porté avec une
vigueur superbe à la contre-attaque et a
arrêté l'avance de l'ennemi.
Les combats de Verdun sont finis pour nous. Mais nous y reviendrons
plus tard pour y remporter une splendide victoire.
Le lieutenant-colonel Frantz ayant reçu de multiples
blessures à l'attaque du 11 mars, le colonel Goybet a pris,
le 20 mars, le commandement du régiment.
Secteur
Nouvron - Vingré.
(23 avril - 15 octobre)
Après quelques jours d'un repos très relatif au
Bois Bouchet, on nous embarque en autos, puis en chemin de fer, et nous
cantonnons près de Crépy en Valois. Nous quittons
ce délicieux pays le 23 avril pour aller remplacer en ligne,
dans le secteur de Nouvron - Vingré, le 352
e d'infanterie,
régiment du lieutenant-colonel Gaube.
C'est un secteur organisé, mais il y a toujours à
faire, d'autant que par ses mines l'ennemi s'entend à nous
donner du travail. Comme toujours, on se met à la besogne
avec le plus parfait entrain. Nous construisons des abris, des PC ; des
grottes sont aménagées. Et, pour nous renseigner
sur le dispositif de bataille de l'ennemi, nous faisons des coups de
mains.
Le régiment est en forme ; les effectifs sont presque au
complet, grâce à un renfort de la classe 1916.
C'est à cette époque que la 4
e compagnie de
chaque bataillon quitte le régiment de combat pour
constituer un petit dépôt divisionnaire qui
s'appellera le CID. C'est le réservoir où l'on
puisera, la veille des attaques, pour renforcer les effectifs, et, le
lendemain, pour combler les vides.
Le 30 septembre, nous sommes au camp de Crèvecoeur
où passe
à tour de rôle les divisions pour y faire quelques
jours d'instruction intensive. Nous y apprenons les nouvelles
méthodes d'attaque avec tous les moyens dont dispose
l'infanterie, nous étudions les liaisons avec l'artillerie,
par la saucisse, l'avion, la TPS et la TSF.
Serions-nous promis à quelque grande offensive ? Allons-nous
enfin bouter hors de France ces Allemands dont la sauvagerie sans cesse
accrue tourmente implacablement les Français des
régions envahies ?
Chapitre V
1916
- 1917 -- 15 octobre - 15 mars
Bataille
de la Somme.
(16 octobre - 13 novembre)
Cependant que Verdun subissait les formidables assauts du Kronprinz, la
France et l'Angleterre préparent à une forte
offensive sur la Somme. Elle devait y attirer les
disponibilités allemandes et par là
même sauver la forteresse.
Cette offensive, commencée avec brio le 1
er juillet, bat
encore son plein quand nous y entrons le 16 octobre.
Le colonel Goybet ayant pris le commandement de la brigade, le
lieutenant-colonel Gaube prend, le 21, le commandement du
régiment. Il le gardera pendant toute la campagne.
Jusqu'au 22 octobre, nous sommes maintenus en 2
e ligne. Le ciel
fourmille d'avion et de saucisses. Notre artillerie fait rage avec ses
pièces lourdes : 305, 340, 400. L'ennemi qui
possède également de puissants moyens
répond furieusement ; si formidable est le vacarme que l'on
s'écrira :
C'est l'enfer de la Somme
.
Le 23, malgré un fort bombardement, nous relevons le 1
er
zouaves et le 9
e tirailleurs sur les positions qu'ils ont conquises
dans les bois au nord de Chaulnes. Et nous préparons de
suite l'attaque du bois Kratz et du Pressoire. Travail
pénible toujours à refaire, car la pluie
incessante transforme le champ de bataille en un lac de boue
où l'on s'enlise presque. Les corvées
s'égarent, les ravitaillements de toutes sortes se perdent ;
s'ils arrivent, ils sont sales et parfois inutilisables. La vase est si
profonde et si gluante que beaucoup d'hommes coupent, pour
s'alléger, le bas de leur capote.
Détrempées, les semelles des souliers restent
collées au limon. On se chausse de sac à terre.
Et le marmitage poursuit sa fureur et les pertes sont lourdes.
La fatigue impose des relèves fréquentes. Et l'on
entend les hommes s'écrier :
Passons par le bled.
Plutôt mourir d'une balle ou d'un éclat d'obus que
de s'ensevelir dans les boyaux
. Mais, le 7, les zouaves
remportent un
succès. Nous les relevons dans la nuit. Tout est
à faire sur ce terrain qu'ont bouleversé
profondément nos obus.
Et cependant, il faut se terrer et se tenir prêt à
repousser les inévitables contre-attaques. Elles viennent.
Mais, comme les fatigues endurées n'ont pas
entamé notre moral, nous clouons l'ennemi sur place et lui
infligeons des pertes sanglantes.
Secteur
de Chilly.
(14 novembre - 14 décembre)
Après nous être rafraîchis quelque jour
à Plessiers - Rozain - Villers, nous occupons
près de Chilly des tranchées où les
boches ont vécu pendant 3 ans. Ah ! Nous avait-on assez
prôné dans les journaux les magnifiques
installations boches. Leurs tranchées ? du ciment
armé ; leurs abris ? des palais ! ; leurs boyaux ? de belles
voies balayées, brossées, astiquées !
et l'électricité partout, dans le
moindre coin.
Comme vite s'évanouirent ces légendes ! La pluie
érode aussi bien le sol où se cachent les taupes
boches que celui où nous nous terrons. Certes, les abris ne
manquent pas, mais ils sont étroits, l'ouverture est petite
; le plafond est tellement bas qu'on ne peut se tenir droit. Bref, tout
est à l'avenant. En rien l'allemand n'est notre
maître, sauf dans le crime.
Repos
à St Thiebault
(20 décembre 1916 - 22 janvier 1917)
Puis, par étapes, nous gagnons Villers-Cotterêts,
où nous nous embarquons en chemin de fer pour S
t Thiebault.
Nous y passons, dans un repos complet, les jours de Noël et du
nouvel an. Il fait froid, la neige tombe, mais nous sommes chez de si
braves gens ! L'instruction est reprise. Et l'on organise de
très intéressant concours de
spécialités qui, plus tard, deviendront
très en honneur dans les armées.
La fin de janvier nous trouve dans des baraquements bien
aménagés sur les bords de l'Oise. L'hiver est
rude. Mais résistants, pleins de sève, nous
supporterons facilement cette vie.
Et puis le travail, si pénible soit-il, est des plus
attachants. Nous créons des boyaux larges où
pourrait passer une voiturette de mitrailleuse. Nous creusons d'autres
longs boyaux plus larges encore et on nous dit : ce sont des boyaux
d'évacuation. Notre commandement prépare-t-il une
offensive ? Certes ! Et nous en serons.
Secteur
de Plessiers de Roye - Le Plémont.
(22 janvier - 15 mars 1917)
Nous voici dans le secteur de Plessiers de Roye dont nous connaissons
les moindres détails. Là, devant nous, Lassigny
et le Plémont, dominant le terrain vaseux
où, à force de clayonnage, nous circulons vus
jusqu'à mi-corps.
Le Plémont ! Qui ne connaît le Plémont
! qui n'a frissonné à la pensée qu'il
lui faudrait un jour enlever d'assaut cette masse bordée de
fil de fer, sillonnée de tranchées et de boyaux,
émaillée de réduits et de blockhaus
en ciment armé, d'observatoire à
l'épreuve des gros obus et d'où le boche,
guetteur tenace, lit notre terrain d'attaque
comme on lit un
livre
.
Les préparatifs d'attaques se multiplient, l'artillerie de
tous calibres crée des emplacements de tir pour volatiliser
Lassigny et le Plémont ; le génie
accélère la construction des lignes
téléphoniques enterrées et d'abris de
munitions. Mais comment se fait-t-il que notre activité, vue
des avions ennemis, marquée sur le terrain malgré
les plus habiles camouflages, n'attire pas les bombardements ? Ce
silence presque total nous inquiète.
Aussi bien, pressés vigoureusement par les Anglais, les
Allemands reculent, mais en bonne ordre. Est-ce le repli
général dont les journaux parlent tant ? Il faut
savoir ! Le commandement prescrit des coups de main.
Chapitre VI
1917
-- 16 mars - 27 juillet
Le
repli allemand sur la ligne Hindenbourg - la poursuite.
(16-22 mars)
Décidément, le vautour boche a du plomb dans
l'aile.
Les journaux allemands, dont nous lisons chaque jour des extraits dans
les nôtres, annoncent un repli stratégique sur une
puissante ligne Hindenbourg. Notre haut commandement, très
avisé, se renseigne par tous moyens, tout en continuant la
préparation offensive de grand style. Il la
déclenchera dans la forme prévue, en se
réservant de la modifier au cours de son
exécution.
Le 16 mars, l'ordre d'attaque générale est
donné. La mission du 98
e est d'enlever
Lassigny et d'atteindre les pentes de Plessis - Cacheleux. À
droite, les Bretons de la 61
e DI prendront le Plémont. Et le
bombardement formidable commence ! Il doit durer plusieurs jours.
L'artillerie ennemie répond, mais peu. Dès la
première nuit, des reconnaissances sont envoyées.
Elles ne rencontrent aucune résistance. C'est donc vrai,
l'ennemi se retire. Vite, vite, en avant ! Le 2
e bataillon trouve
Lassigny vide de boches. Le 3
e bataillon dépasse le 2
e et
pousse jusqu'à la Divette. Pas un coup de canon, pas une
balle. Des détonations et des lueurs lointaines signalent le
recul des vandales. Mais ils occupent encore Plessis - Cacheleux. Nos
210 bombardent le village, puis 2 compagnies l'encerclent et cueillent
une grappe d'ennemis laissés en arrière-garde.
Pendant 3 jours, nous marchons sans voir notre adversaire,
mais c'est à chaque pas que nous trouvons trace de son
passage. Dans les villages ruinés par les explosifs,
l'incendie et la hache, se jettent vers nous des civils
français ; leur joie est si profonde qu'ils ne savent
comment nous l'exprimer. Tous disent :
Ils nous ont
volés,
pillés, mais ils crèvent de faim.
Puis
ils nous
mettent en garde contre la ligne Hindenbourg savamment
organisée. Tous les carrefours ont été
minés ; immenses sont les entonnoirs ! Les pionniers ont du
travail, mais c'est à qui les aide pour faciliter la
progression de notre artillerie, ardente à nous suivre.
Ah ! Quels monstres sont nos adversaires ! Ils ont assassiné
tous nos arbres fruitiers ! Le sentiment de haine,
profondément ancré dans nos coeurs,
s'exaspère devant tant d'horreur. Nous, paysans, nous savons
que les obus peuvent ravager un champ, c'est la guerre ; mais taillader
les arbres à mort, empoisonner les sources, tué
des vieux, des femmes, des enfants, enlever surtout des femmes et des
jeunes filles, c'est inouï et à jamais
impardonnable.
Le 20, le contact est pris aux abords de Liezest. De très
nombreuses mitrailleuses interdisent le canal Crozat. Toutes les
passerelles ont été détruites, sauf
celle de l'Ecluse. Et, quand même, Liez est enlevé
en un tour de main.
Un repos nécessaire des 8 jours nous est donné.
Ah ! que nous étions fiers en traversant Guiscard, musique
en tête et drapeau déployé ! Et qu'il
était alerte et dégagé notre pays sur
le pavé de Ham ; notre crânerie donna
sûrement un regain d'ardeur aux braves territoriaux qui
réparaient un peu les rues pour recevoir dignement le
Président de la République.
Nous voici à Fluquières, en contact
immédiat avec les troupes anglaises. Nous
réfectionnons des tranchées de 2
e ligne qui, nous
en sommes certains, ne serviront jamais, tant est grand notre foi en la
victoire.
Retour
en ligne.
(2 avril)
Puis nous allons relever le 90
e à Castres - Gauchy. Ici, pas
de tranchées, et tout le terrain est vu des clochers de
Saint-Quentin, surtout de la cathédrale. Quelle belle cible
pour notre artillerie que ses flèches, ses toits bleus et
ces cheminées d'où les ennemis nous observent !
Nos obus tueraient du boche. Mais pouvons-nous massacrer nos
cités ? L'ennemi n'en a-t-il pas assez détruit de
fond en comble ? Vus de partout le jour, nous travaillons la nuit. Les
artilleries adverses se bombardent sans interruption
avec du
gros
.
Le sort de Pâques, Saint-Quentin est en feu ! Est-ce le
signal
d'un nouveau mouvement de recul ? Le commandement ne croit pas
à un arrêt définitif des Allemands sur
la ligne Hindenbourg.
Il fait très froid ; il neige, il pleut, il vente ; la vie
en secteur est des plus rudes, mais nous tenons sans nous plaindre et
notre joie est immense en apprenant, le 9, qu'au nord de Saint-Quentin
les
Anglais ont fait 11 000 prisonniers.
Dans la nuit du 12 au 13 avril, notre artillerie fait rage. La mission
du 98
e est d'enlever, le 13, à 5 heures,
la 1
ère position entre le canal de Saint-Quentin et la ferme
du Pire - Aller. Premier objectif : la sucrerie de la Biette.
À l'heure dite, le bataillon Lyet (2
e) attaque avec vigueur.
Deux compagnies franchissent tant bien que mal les 2 premiers
réseaux de barbelés, mais elles sont
arrêtées devant un 3
e. Les balles de mitrailleuses
rasent le terrain et beaucoup d'officiers et de soldats tombent
blessés ou frappés à mort. La
compagnie de soutien a fait des prisonniers, mais le bataillon,
malgré toute sa vaillance, a échoué.
Il est contraint de se replier sur ses positions de départ.
Les lignes et les défenses ennemies se sont
révélées puissantes. En leur
état actuel, elles défient tout assaut.
Cependant, le commandement prescrit, pour 18 h 30, le même
jour, une nouvelle attaque. Elle sera faite par le bataillon Ferrard
(1
er) qui a relevé le 2
e. Les poilus savent bien que les 75
et les 155 n'ont pas pu détruire toutes les mitrailleuses et
tous les barbelés en quinconce qui ont
arrêté leurs camarades le matin, mais ils ont
l'âme trop belle pour hésiter.
Bravement, stoïquement, les vagues du 1
er bataillon s'avancent
dans un ordre parfait. Mitrailleuses et obus les éprouvent
cruellement ; elles progressent quand même. La 3
e compagnie
aborde les maisons de la Biette ; mais brusquement encerclée
par un bataillon allemand, elle lutte en
désespérée. Finalement, elle est
prisonnière.
La 2
e compagnie perd tous ses officiers et presque tous ses cadres.
L'attaque n'a pas réussi, mais l'honneur est sauf. La 3
e
compagnie, la 7
e compagnie et la 2
e section de mitrailleuses de la CM2
sont citées à l'ordre de l'armée.
Citation de la 2
e compagnie :
Le 13 avril 1917, la 2e compagnie, sous le
commandement de
son chef, le
capitaine Blanchet, s'est porté à l'attaque des
tranchées ennemies dans un ordre parfait et avec un entre
entrain admirable. Arrêtée par des
réseaux non détruits et soumise au tir de barrage
et au feu des mitrailleuses, elle n'en a pas moins persisté
dans son effort à poursuivre sa mission, jusqu'au moment
où le capitaine, tous les officiers et sous-officiers
eussent été mis hors de combat.
Déjà citée à l'ordre de la
1ère armée, à Verdun.
Citation de la 7
e compagnie et de la 2
e section de mitrailleuses :
Le 13 avril 1917, sous l'énergique
impulsion du
lieutenant
Vogel, commandant la compagnie, et de l'adjudant Roche, commandant la
2e section de mitrailleuses, se sont emparées de plusieurs
lignes de tranchées allemandes et d'un important groupe de
maisons, malgré une résistance
extrêmement acharnée des défenseurs
ennemis surgissant d'abris profonds et de caves. Ont
déployé pendant plusieurs heures, dans la
défense de ce hameau, d'admirables qualités de
bravoure et d'énergie, de ténacité et
d'audace. Contraintes par une contre-attaque ennemie de
céder le terrain conquis, ne l'ont fait qu'en combattant
pied à pied, à la grenade, au fusil, au
fusil-mitrailleur et à la mitrailleuse, infligeant ainsi des
pertes très élevées. Ont
ramené 26 prisonniers.
Relève
- Reconstitution du régiment.
(14 avril)
Maintenant, il importe par dessus tout de reconstituer le
régiment dont le moral n'a pas été
atteint par cet échec. Tous les chefs s'y emploient avec
tout leur coeur. Le colonel réunit ses bataillons et, d'une
voix vibrante, proclame la reconnaissance que le pays leur doit en
récompense de leur énergie et de leur courage. Le
général Humbert, commandant la 3
e
armée, et le général Franchet
d'Esperey, commandant le groupe d'armées, viennent
successivement féliciter le régiment.
L'aumônier Lestrade, l'as des poilus de la DI,
célèbre un service solennel. Le colonel passe en
revue le régiment qu'il fait défiler devant le
drapeau et s'écrie :
Cette revue à
une autre
signification. À nos chefs, elle dit que nous sommes
prêt à nouveau à exécuter
leurs ordres ; à nos camarades, morts pour la
Patrie, que nous avons la résolution de les venger !
Et
c'est avec un moral complètement sûr que le
98
e remonte bientôt dans le secteur du
Pire - Aller, où seule notre artillerie a beaucoup
à souffrir des tirs de destruction de l'artillerie allemande.
Le boche réussit pourtant sur nous un coup de main violent
et rapide. Nous riposterions, mais le commandement estime qu'il est
inutile de s'exposer à perdre des hommes pour la reprise de
tranchées avancées de peu d'importance.
Après un propos relatif dans les ruines de Grand -
Sérancourt, nous nous rendons à Villeselve et
pour y savourer, jusqu'au 10 juillet, la tranquillité la
plus complète, dans la campagne fleurie.
Puis, nous embarquons à Ham pour Vitry le
François. Tout près de cette ville, dans le
coquet village de Saint-Amand, nous vivons heureux, parmi des habitants
très accueillants. Nous y fêtons le 14 juillet.
Toute la division est passée en revue par le
général Gratier. Elle défile
magnifiquement. Les cantonnements ont été
décorés de drapeaux et de guirlandes. Des prix
sont donnés par le colonel à ceux qui ont fait
preuve du meilleur goût. L'après-midi, une
séance récréative est offerte aux
habitants et aux poilus ; et, le soir, on danse au son de la musique
militaire.
Les jours qui suivent sont employés à
l'instruction des spécialités et des cadres. Le
programme est varié sans être changé.
Le 23 juillet, la division est passée en revue par le
général Gouraud, commandant la 4
e
armée. L'allure martiale, le regard
pénétrant, l'attitude imposante du glorieux
mutilé parle plus au coeur des soldats que ne le feraient
les discours les plus éloquents.
Vibrants et fiers, nous défilons devant lui et chacun de
nous voudrait pouvoir s'écrier, comme les légions
romaines en marche vers la victoire :
Ave
César, morituri te
salutant ! Salut César, ceux qui vont mourir te saluent !
Car nous n'ignorons pas que si le général Gouraud
est venu nous voir, c'est pour nous électriser, nous
envelopper de son fluide et nous promettre à quelque grand
destin.
Chapitre VII
1917
-- 28 juillet - 24 décembre
En
route vers Verdun.
(28 juillet)
Le régiment est prêt, au moral et au physique,
pour les missions les plus dures. Le 28 juillet, les autos nous
emportent vers Verdun. Vive est notre émotion en revoyant
les villages et la campagne traversée en 1916. Mais les
temps sont changés : nous allions alors arrêter la
ruée allemande ; maintenant, nous venons ici pour attaquer
le boche et donner de l'air à Verdun, l'inviolée.
Ah ! ils allaient répétant que la France
était veule et pourrie ! Ah ! ils croyaient à
l'exactitude du grossier jeu de mots de Bismarck :
La
France est une
nation de zéro et une collection de troupeaux.
Nous serons
si superbes dans la bataille qu'ils ne pourront s'empêcher
d'admirer notre vaillance. Ils en auront un éblouissement
douloureux.
Le 1
er bataillon est laissé en réserve de Corps
d'Armée à Rarécourt. Les 2
e et 3
e
occupent d'abord les camps du Fer à Cheval et de Bretagne,
puis remplacent en ligne le 147
e et poussent avec une grande
énergie les travaux d'aménagement en vue de
l'attaque décidée.
Le 10 août, on nous transporte à
l'arrière dans la région de Charmontois.
Avec le même soin que pour la préparation d'un
coup de main, nous étudions les diverses phases de
l'opération prochaine. Les tranchées sont
figurées dans une grande prairie, l'avion de la DI participe
à nos exercices ; chacun connaît son
rôle ; tout est minutieusement réglé.
Le mauvais temps ajourne l'attaque, et notre impatience
croît, nous sommes si sûrs de remporter un
succès ! Enfin, le 19, on nous conduit au camp du Fer
à Cheval où sont distribuées les
munitions et vivres en abondance.
L'attaque sera déclenchée le 20 à 4 h
50.
Le 19, à la tombeée de la nuit, les bataillons se
dirigent vers les tranchées de départ.
L'entrée en secteur est une opération
très complexe. Les itinéraires reconnus ne
peuvent être suivis. Le bois d'Esnes fourmille de colonnes
qui se croisent pour monter au combat ; nombreux et divers sont les
convois. L'artillerie allemande bombarde furieusement la
nôtre qui fait rage ; les arbres volent en miettes. Il faut
s'écarter des zones qu'ont arrosés les obus
asphyxiants et l'ypérite ; la nuit est noire ; le vacarme,
inexprimable. Un marmitage par obus à gaz coupe en
deux le
1
er bataillon.
Mais toutes ces difficultés sont vaincues, et vers 2 heures
chacun est à sa place de départ, dans
des
éléments de tranchées ou dans des
trous d'obus.
L'attaque
- Secteur d'Avocourt.
(20 août)
Le front de départ est de 800 mètres, les
derniers objectifs à atteindre sont à 1200
mètres. 1
er et 3
e bataillons en ligne, 2
e en soutien. 4
heures. Les hommes dormaient ; on les éveille.
Heure H : 4 h 50. Les poilus jaillissent de leur trou. Le jour n'est
pas né. Les vagues suivent de leur mieux sur le sol
affreusement bouleversé le barrage roulant.
À gauche, en liaison avec le 105
e le bataillon
d'Humières (3
e) gagne rapidement la lisière du
Bois d'Avocourt. La 11
e compagnie subit de très grosses
pertes, mais, soutenue par la 9
e elle continue sa progression.
À l'extrême gauche, le peloton des grenadiers
d'élite de ce bataillon dépasse la
tranchée des Pins, attaque résolument
à la grenade l'ouvrage Martin, et s'y installe de haute
lutte.
À droite, en liaison avec le 92
e le bataillon Le Gouas
(1
er) s'avance aussi très hardiment. Une première
résistance dans la tranchée Gerock est
brisée ; les mitrailleurs ennemis sont manoeuvrés
et tués sur leurs pièces. Les nettoyeurs font
bonne besogne. À 5 h 10, la tranchée des Joncs
est atteinte. Debout sur la croupe conquise et se profilant sur le
ciel, les hommes semblent grandis dans la brume et la fumée
que dore le soleil levant.
Le butin est important : 19 mitrailleuses, 10 canons de
tranchées, plus de 300 prisonniers.
La compagnie d'élite de la DI doit dépasser le
1
er bataillon et occuper les ouvrages de Vassincourt. Elle ne peut
qu'esquisser son mouvement. Arrêtée par une
défense énergique de la tranchée
Conrad elle perd tous ses officiers et se replie.
Les objectifs sont conquis ; il faut maintenant les conserver.
Minutieusement est organisée la liaison entre l'artillerie
et l'infanterie. À 3 reprises l'ennemi contre-attaque. Mais
nos feux l'arrêtent et le contraignent à refluer
en désordre. Rageusement, il nous bombarde, nous tue des
hommes, mais il ne peut nous empêcher de consolider nos
positions.
Un vide s'est créé entre le 1
er bataillon et le
92
e RI. Au prix des plus lourdes fatigues, dans la nuit très
noire, sous un bombardement intense, sur un sol inconnu d'elle et fait
de trous d'obus sécants, la compagnie Belin, du bataillon
Lyet (2
e) peut parvenir à le boucher vers 2 heures du matin.
Il était temps ! Un bataillon ennemi, tout frais,
contre-attaque à l'aube. Nos fusées montent au
ciel. Immédiatement, notre artillerie plaque son barrage
puissant. C'est un spectacle inoubliable, une illumination de
féerie. Nos obus hachent en deux le bataillon boche. Les
vagues, qui ont dépassé notre barrage, tentent de
nous envahir, mais, debout, baïonnette au canon, nous les
recevons. Dans la fumée blanche de nos grenades, on voit des
centaines de bras tendus. Les Allemands font
Kamarad
.
De ce bataillon
tout neuf et qui voulait nous dévorer, il ne reste que des
prisonniers et des cadavres.
D'heureuses opérations de détail sont faites sur
la tranchée des Platanes (7
e compagnie) et les abris de
Vassincourt (grenadiers d'élite du 2
e bataillon).
La relève ! oh ! qu'elle vienne ! Nous sommes presque
épuisés et plein de poux. Mais le commandement ne
peut nous satisfaire. Nous tenons. Enfin, le 30 août, le 328
e
nous remplace.
Après un court arrêt au camp des Pommiers, nous
embarquons en auto pour Viel, Dampierre, Sivry sur Ante et Braux S
t
Rémy.
La brillante conduite du régiment est
récompensée par une citation à l'ordre
de l'armée :
Les 20 et 21 août 1917, sous les ordres du
lieutenant colonel
Gaube, le 98e a enlevé vigoureusement
les objectifs qui lui étaient assignés, capturant
plus de 300 prisonniers et ramenant 19 mitrailleuses et 10 canons de
tranchée. À repousser deux fortes contre-attaques
en faisant de nouveaux prisonniers et, par un vigoureux retour
offensif, a enlevé un ouvrage où il s'est
installé dans une excellente situation tactique.
Le 25, a poussé une pointe hardie dans les organisations
ennemies fortement occupées, y a détruit des
abris et du matériel et ramené d'autres
prisonniers.
Ses exploits nous ont coûté 106 tués,
dont 8 officiers et 12 sous-officiers, 315 blessés, dont 9
officiers et 38 sous-officiers.
Bismarck, les soldats du 98
e sont des
Français de pur sang ! Ils te prouvent que la France n'est
pas
nation de zéros.
L'Argonne.
(24 septembre)
Le 24 septembre, nous allons en Argonne occuper le secteur de la
Fille-Morte. C'est le calme presque complet. La vie est douce.
Une des particularités du secteur est l'organisation de la
guerre des mines. Les sous-sols sont sillonnés des galeries
où, nuits et jours, français et allemands
poussent des ramifications et créer des fourneaux. Presque
tous les matins, vers 3 heures, une mine explose. On le sait ; aussi
les petits postes sont-ils repliés sur la ligne
de doublement.
Nous faisons des coups de main. Puis c'est un repos de 20 jours aux
Senades et la montée en secteur Argonne Ouest, entre la
Fille-Morte et le Four de Paris. La lutte y fut dure jadis. Les
Italiens de Garibaldi enterrés à la Chalade
parmi les Français nous le prouvent.
C'est l'époque des îlots de résistance
ceinturés de fil de fer barbelés et de portes
annamites. Nouveau, difficile, périlleux,
imprécis, ce travail absorbe beaucoup de temps et d'efforts.
Relativement tranquilles, les Allemands font pourtant, le 24 novembre,
un violent coup de main. Notre belle attitude en a raison. En
réponse, le 5 décembre, le 1
er bataillon en
déclenche un à son tour. Les objectifs sont
atteints, mais le boche s'est retiré. Si nous ne faisons pas
de prisonniers, nous n'avons pas, du moins, a
déploré des pertes. Après quelques
jours de repos dans la région de Condé en
Barrois, nous partons en auto pour Verdun.
Chapitre VIII
1917
- 1918 -- 25 décembre - 15 avril
Bezonvaux
- Bois des Caurières.
(25 décembre)
Quel soldat français, venu dans ces secteurs, peut prononcer
ce nom sans frémir ? En notre glorieux vagabondage sur le
front de bataille, nous avons partout souffert, et pas peu certes ;
mais n'est-ce pas ici que nous avons enduré les pires
misères ?
Nous y sommes le 25 décembre, entre 17 et 19 heures. Nous
nous en souviendrons ! C'est probablement l'heure de la soupe chez les
boches, en tout cas, on ne peut circuler que pendant ces 2 heures entre
le PC du colonel et le PC des chefs de bataillon, qui sont en toute
1
ère ligne avec, derrière eux, le ravin
d'Hassoule.
Toute la nuit, les rafales d'artillerie fauchent les pistes et
gênent les ravitaillements. Les 2 bataillons de lignes sont
complètement livrés à
eux-mêmes.
Le jour, du haut de son observatoire des jumelles d'Ornes, l'ennemi
voit nos moindres mouvements. Nos éléments de
tranchées n'ont pas un mètre de profondeur ; il
fait 18° au-dessous de zéro ; les pioches se cassent
sans entamer le sol, la neige recouvre pistes et boyaux ; les abris
sont des descenderies, force nous est d'habiter les trous d'obus ; les
gros minen soufflent, comme des fétus de paille, les
barbelés et les lignes téléphoniques.
Mais nous avons des chiens. Les admirables bêtes, que de vies
humaines elles ont économisées ! Dresser
à faire l'aller et le retour, elles nous mettaient en
liaison, dix fois par jour, avec le coeur du régiment, le PC
du colonel.
Chaque jour, l'ennemi fait un coup de main sur nos voisins ou sur
nous. Le 26, à 14 heures, deux bataillons, dont un de
strosstrup avec des mitrailleuses, des sapeurs du génie,
etc..., plus de 1000 hommes, attaque notre 3
e bataillon. Deux saucisses
observent, 4 avions nous survolent ; un formidable barrage d'obus de
tous calibres isole le bataillon ; des minen de 240 écrasent
les tranchées. L'opération dure au plus 10
minutes. La 11
e perd la moitié de son effectif ; la 10
e
à 26 hommes hors de combat, la CM3 en a 17 ; 2
officiers sont tués et 3 blessés.
Le froid se fait de plus en plus vif. Immobiles dans les trous d'obus,
beaucoup d'hommes ont les pieds gelés.
Quelques jours de repos à Dugny nous font un bien
extrême ; et nous fêtons joyeusement le nouvel an
grâce à la coopérative divisionnaire
très bien achalandée.
Quand nous remontons en secteur à la neige tombe ; les
effectifs fondent.
Secteur
de Vaux.
(1
er février)
Heureusement que bientôt nous glissons dans le secteur
Damloup et Vaux. Ici, c'est le calme parfait et la
sécurité.
Nous dominons la Woëvre. Où est l'ennemi
dans cette plaine immense ? Toutes les nuits, nous tentons des
embuscades. Un coup de main est fait sur le Bois de la Plume, mais sans
grand résultat. Nous n'en rapportons que des papiers
trouvés dans un abri.
Bien que la vie matérielle dans le secteur de Vaux
fût supportable malgré les brumes glaciales, c'est
avec joie que nous vîmes arriver la relève. Notre
coeur se serrait à la vue des cheminées toujours
fumantes de la région de Briey ; à l'horizon,
c'était une circulation ininterrompue de trains. Nous
aurions voulu que notre artillerie et notre aviation puissent interdire
cette activité. Et notre tristesse augmentait du
bouleversement inouï, à nul autre comparable, du sol
où nous habitions, parmi les morts. Pas un trou d'obus sans
un débris humain, où un effet
d'équipement, ou un projectile non
éclaté. C'était le fumier, le charnier
de la guerre dans son horreur inexprimable.
Février nous voit dans l'hospitalière
région de Vitry en Perthois et Merlaut. Nous y jouissons
d'un excellent repos jusqu'à la fin du mois.
Travaux
de 2e ligne.
(28 février)
Nous sommes transportés ensuite par auto dans la
région de Sainte Menehould, d'abord à Florent,
puis à la Grange aux Bois ; nos hommes sont
encouragés par des primes spéciales ; on obtient
un rendement maximum dans l'exécution de travaux de seconde
ligne.
Secteur
en Argonne Ouest.
(29 mars)
Nous reprenons pendant 3 semaines le secteur Argonne Ouest que nous
connaissions bien pour l'avoir déjà
occupé, mais auquel la répartition des troupes en
profondeur donne une physionomie tout à fait nouvelle.
Relevés par le 10
e tirailleurs, nous allons cantonner
pendant quelques jours dans la région Brocourt,
Jubécourt, Auzeville. Le 15, nous partons pour le camp de
Nixeville.
Chapitre
IX
1918
-- 16 avril - 26 juillet
Secteur
de la Côte de l'Oie.
(16 avril - 18 juillet)
Le régiment va relever, le 16 avril, le 160
e RI, dans le
secteur de la côte de l'Oie, sur la rive gauche de la Meuse.
Ce n'est pas sans émotion que, sous les ruines
amoncelées, nous retrouvons les villages de
Cumières et de Chattancourt, que nous traversions
à toute allure en 1916.
Tout est tranquille maintenant dans cette région,
même le Mort-Homme. Mais la physionomie des secteurs s'est
grandement modifiée ; nous tenons la côte
de l'Oie ; les Allemands sont au-delà du ruisseau de Forges.
Le no man's land est très large ; il atteint 3 km en
certains points. Le boche resterait volontiers tranquille, mais le
terrain est tellement favorable aux excursions que nous ne lui laissons
point de répit et que chaque nuit nous faisons de
petites reconnaissances qui l'énervent, confirment le
vigoureux esprit offensif de nos poilus et les maintiennent en forme.
L'action de l'artillerie allemande est peu considérable,
aussi nous pouvons réaliser presque sans perte une
organisation nouvelle en vue de la plus grande économie des
forces.
Il s'agit de créer une grande profondeur par un
échelonnement considérable des troupes, de
conserver à la position toute sa force de
résistance, en faisant occuper par des effectifs strictement
nécessaires des points judicieusement choisis ; on pourra de
cette façon faire des économies de
troupes, qui grossiront les réserves dont le commandement
supérieur a besoin pour parer aux attaques boches,
d'où qu'elles viennent.
La profondeur du secteur est donc considérablement
augmentée ; le PC du colonel est porté aux Bois
Bourrus, à 6 km des tranchées ; le service des
liaisons en est rendu très pénible. Heureusement,
nos chiens de liaison, si parfaitement dressés au transport
des plis de services dans les 2 sens, quelle que soit la distance
à parcourir, sont de très précieux
auxiliaires dont l'instinct nous sert merveilleusement.
Le bataillon qui est en réserve trouve à
Jardin-Fontaine, près de Verdun, où il prend son
repos, un cantonnement presque confortable ; chacun est heureux d'y
oublier, au milieu de la verdure et des fleurs de ce début
de printemps, le spectacle désolé des
premières lignes. Le cinéma a installé
à la Citadelle procura nos hommes quelques distractions.
Nous avons là une détente qui est mise
à profit pour développer, au cours d'exercices et
d'enseignements continuels, l'instruction du groupe de combat en vue
des opérations prochaines.
Instruction
du groupe de combat.
Cette conception du rôle du GC dans la défensive
est une méthode tout à fait nouvelle et constitue
une véritable révolution. Au lieu de se renfermer
dans la tranchée pour y combattre et y tenir
malgré les terribles effets des tirs d'artillerie exactement
réglés sur des objectifs faciles à
repérer, on sort maintenant des boyaux et
tranchées pour recevoir l'attaque et on se confond avec le
sol en occupant les trous de marmites dispersés dans la
plaine. Il faut toute l'énergie du colonel pour convaincre
les officiers des avantages de la nouvelle méthode, mais,
dès que ce résultat est acquis, les travaux
nécessaires sont réalisés avec une
ardeur splendide et une extrême rapidité. Les
corvées ne vont-elles pas chaque nuit prélever
dans les tranchées et abris du no man's land et jusque sous
le nez des boches, les nombreux matériaux dont elles ont
besoin : planches, traverses, ... et que le génie ne
parvient pas à leur procurer. L'instruction du GC est donc
poussée à fond ; le mécanisme de son
action, combinée avec les mitrailleuses et les FM, puis avec
le mortier JD dont nous venons d'être dotés, est
pratiquement démontré et bientôt connu
de tous ; cadres et hommes y acquièrent la notion
très ferme de l'énorme puissance de l'infanterie
qui sait utiliser tous ses moyens.
Nous ne serons certes pas pris au dépourvu si l'ennemi veut
nous assaillir. Et voici que, vers la fin de juin, les renseignements
recueillis auprès de prisonniers allemands nous
amènent à considérer une attaque
ennemie comme imminente, encore que nous n'ayons relevé sur
notre front aucun indice spécial. Le 26, nous sommes
alertés, mais comme tout a été
prévu, étudié,
préparé, et que nous sommes
fin
prêts
,
nous attendons avec confiance les événements.
Dès la tombée de la nuit, on occupe les trous
d'obus, on les améliore ; les réseaux protecteurs
sont renforcés ; tout le monde veille ; à l'aube,
les hommes vont se reposer dans les abris ou nichettes individuelles
des tranchées et boyaux. Mais des guetteurs
protègent leur sommeil.
Quel est donc celui d'entre nous qui, au cours de ces
veillées d'armes, n'a pas désiré
être attaqué ; quel est le chef qui, sûr
de ses moyens d'action, ne se promettait pas de faire mordre la
poussière aux assaillants, si nombreux fussent-ils, qui
oserait
se frotter
à son GC.
Attaque
en Champagne.
(15 juillet)
Enfin, le 15 juillet, vers minuit, du côté de la
Champagne, l'horizon s'allume brusquement ; une tempête de
grosse artillerie envoie jusqu'à nous les
échos de ses tonnerres ; le boche s'est
décidé à attaquer. Nous passons le
reste de la nuit en alerte.
Le 16, aucun incident ne s'est produit dans notre secteur. Nous nous
trouvons donc en dehors du front d'attaque, et nous souffrons
déjà de notre inaction. Quoi ? Nous resterions
sans gloire, dans un secteur
pépère
,
alors que
des camarades se battent et sauvent la France de la dernière
ruée
allemande ? Ce n'est pas possible, nous valons mieux que cela.
Bientôt nos plus chers désirs vont se
réaliser.
En
route vers l'Aisne pour la bataille.
(19-26 juillet)
Relevés le 18 par le 12
e cuirassiers à pied, nous
sommes embarqués le 20 en chemin de fer et arrivons
à Verberie, par Revigny ; puis, par étapes, nous
atteignons Breuil, sur l'Aisne, par Pierrefonds. Pendant ces quelques
nuits de trajet, nous éprouvons au maximum cette
désagréable sensation d'être
surveillés, suivis, poursuivis, survolés,
menacés et harcelés sur les voies
ferrées, les routes et dans les cantonnements par les noirs
avions boches. Ces rapaces nocturnes, favorisés par un ciel
clair, balaient copieusement et sans répit les voies de
communication de leurs bombes et de leurs balles de mitrailleuses.
Mais, en cours de route, nous avons appris que la terrible attaque de
l'ennemi était venue se briser nette en Champagne sur
l'armée Gouraud, et que, refoulé vers
Soissons, l'allemand maudit va être fatalement
amené à battre en retraite et à
regagner au plus vite ses anciennes positions sur l'Aisne. Et c'est
dans cette région de Soissons que nous allons à
notre tour entrer dans la bataille ! !
A Breuil, nous avons utilisé les 2 jours d'arrêt
pour nous compléter en vivres et munitions ; nos hommes s'y
sont trouvés en contact avec les Écossais, dont
la tenue pittoresque et la musique originale leur ont
procuré une distraction inattendue. Nous quittons cet
excellent cantonnement et gagnons par Soucy, Longpont, Louatre et
Violaines, les positions d'avant-postes. Le régiment
relève les débris de 48
e RI et 233
e RI
qui ont tellement souffert aux attaques et à la
rivière de Plessier-Huleux, qu'un seul de nos bataillons
suffit à relever les 2 régiments.
Nous sommes à pied d'oeuvre, face à la
bête de proie, qui, menacée dans sa retraite par
notre pression violente et continue, usera, pour se
défendre jusqu'à son dernier souffle, de ses
moyens puissants et barbares.
Mais, dès maintenant, elle est à nous, elle ne
peut nous échapper, nous l'écraserons et nous en
débarrasserons le sol sacré de la France qu'elle
souille depuis si longtemps.
Chapitre X
1918
-- 27 juillet - 11 Novembre
Secteur
Plessier-Huleux. La relève a lieu dans la
nuit du 26 aux 27.
(26 juillet - 1
er août)
Le Plessier-Huleux n'est qu'un amoncellement de ruines fumantes ; la
plus grande partie du régiment trouve néanmoins
à s'y abriter, en déblayant avec une
rapidité grande les rares caves qui ne sont pas
complètement effondrées. Le sol est
jonché de cadavres, d'armes, de tanks abandonnés.
Largement échelonnée, le régiment n'a
que quelques éléments en avant-poste, mais les
reconnaissances de toute nature sont lancées sans perte de
temps, les positions de combat sont reconnues, car nous devons
être prêts à tout instant à
assaillir l'ennemi, auquel nous ne laisserons dorénavant
aucun répit.
Nous appartenons à l'armée Mangin.
Flanc-Garde
des 9e compagnie et CM3.
(29 juillet)
Le 29 juillet, les 16
e et 105
e RI attaquent Grand Rozoy et les
observatoires de la côte 205 ; sur la demande
spéciale du lieutenant-colonel Gaube, la 9
e compagnie et la
CM3 du régiment participe à l'action et
reçoivent la mission de flanc-garder à gauche le
105
e et de le préserver de surprises possibles du
côté du bois de Saint-Jean. La mission est des plus
difficiles ; elle est brillamment remplie grâce à
l'intelligence des chefs, à l'ardeur des hommes et
à la haute valeur de tous. Le feu terrible de l'artillerie,
la nappe de plomb que lancent les mitrailleuses dissimulées,
la résistance extrême des défenseurs,
rien n'arrête nos deux bouillantes unités dans
leur progression ; elles atteignent l'objectif fixé, le
conservent malgré 2 contre-attaques successives, causent
à l'ennemi des pertes sévères, font 40
prisonniers, dont 3 officiers, et ramènent 6 mitrailleuses
lourdes.
Le capitaine Chazallet, qui a commandé le
détachement, reçoit la croix de la
Légion d'honneur.
Le 16
e RI, qui avait enlevé le village de Grand Rozoy, est
soumis à de puissantes contre-attaques qui lui arrachent les
positions conquises et le place dans une situation difficile.
Reprise
de Grand Rozoy
(30 juillet)
Le lieutenant-colonel Gaube propose au commandement un plan d'attaque
qui est accepté ; il lance alors ses bataillons devenus
libres sur le front occupé par le 16
e RI, dépasse
ce régiment et assure une occupation continue entre le 105
e
à gauche et les Anglais à droite. La 5
e
compagnie, dans une pointe hardie, reprend pied dans Grand Rozoy et, le
lendemain matin, le 98
e occupe le village entier,
puis il poursuit son offensive.
Enlèvement
de la crête des Observatoires.
(1er-10 août)
Dans une atmosphère ampuantie par les barrages d'obus
toxiques, les 2 bataillons d'attaque bousculent le boche et s'emparent
de
l'objectif assigné (la ligne des Observatoires) ; nos pertes
sont cruelles ; les commandants Le Gouas et Taulier sont
blessés ; mais le régiment, en achetant si cher
son beau succès, a donné une fois de plus la
mesure de sa haute valeur.
La 127
e DI nous double sans pouvoir nous dépasser.
La
poursuite.
(11 août - 3 septembre)
A la nuit, nous nous reportons en arrière et
quelques heures plus tard le 98
e avant-garde de la
division, reçoit l'ordre de poursuivre l'ennemi dans une
nouvelle direction, car l'Allemand bat en retraite. Cette mission de
poursuite nous remplit d'une folle joie, malgré notre
extrême fatigue. Nous marchons dans l'ivresse du triomphe et
pendant 2 mois nous n'allons plus lâcher prise ; nous
déchiqueterons les arrière-gardes allemandes. Ce
sont des alternatives de vives actions, de bonds en avant et
d'arrêts sous le feu violent des canons et des mitrailleuses
ennemies.
Palteau de Violaines, Cuiry-House, Cerseuil, La Vesle, marquent les
diverses étapes de notre progression.
Le 13 août, le lieutenant-colonel Gaube est blessé
à la jambe et évacué, et le commandant
d'Hummières prend le commandement du régiment.
Depuis le 27 juillet jusqu'au 4 septembre, nous sommes
restés accrochés à l'ennemi, sans
relève possible ; nous avons été
soumis à un bombardement écrasant et continu
d'obus à gaz. Comme on ne peut vivre indéfiniment
sous le masque, nos hommes ont tous étés peu
à peu intoxiqués : ils ont les
paupières boursouflées, ils toussent
éperdument, n'ont plus d'appétit, et, chose
à peine croyable, ils renâclent au pinard ! C'est
dire à quel degré de fatigue nous sommes
arrivés ; et cependant, les évacuations sont
rares ; tous, chefs et soldats, tiennent énergiquement ; on
réussit à force de dévouement et
d'ingéniosité à donner du lait et des
boissons chaudes aux plus atteints. Grâce à la
ténacité de chacun, nous avons encore des
effectifs raisonnables qui nous font attribuer une part
élevée dans tous les emplois de la DI, mais nous
sommes fiers, à juste titre, d'avoir su vaincre toutes ces
misères accumulées et d'être
restés à notre poste. Le 18 août, le
régiment est cité à l'ordre de
l'armée pour sa belle conduite :
Régiment qui s'est maintes fois
signalé au cours
de la campagne. Lors des récents combats, sous les ordres du
lieutenant colonel Gaube, après avoir conquis, les 29 et 30
juillet 1918, un important point d'appui sur le flanc de l'attaque
principale, a enlevé d'un seul élan, le 1er
août 1918, la crête des observatoires ennemis,
malgré une résistance acharnée, et
repoussé les violentes contre-attaques poursuivies sans
succès par l'ennemi au cours de la journée.
À capturer 150 prisonniers, 76 mitrailleuses et 4 minen. Les
2 et 3 août, a marché à l'avant-garde
de la division et conduit avec vigueur le combat de jour et de nuit,
refoulant les arrière-gardes ennemies au nord de la Vesle.
Cette deuxième citation donne droit au port de la
fourragère aux couleurs de la croix de guerre.
Franchissement
de la Vesle. Tête de pont
au-delà du canal.
(4-13 septembre)
Prise
de Vailly.
(15 septembre)
A partir du 4 septembre, le passage de la Vesle est forcé ;
le 5, nous bousculons l'ennemi au-delà du canal de l'Aisne
et nous prenons pied bientôt au nord du canal. Le 2
e
bataillon, mis à disposition de la 162
e DI, se comporte
brillamment à la prise du Moulin de Saint-Pierre ; puis le
régiment, dans une âpre lutte, arrache Vailly
à ses défenseurs qui prennent une fuite
éperdue.
L'ennemi prononce bientôt une puissante attaque sur notre
front entre l'Aisne et la Ferme de la Rivière ; il ne
réussit point, comme il le désirait, à
nous rejeter au sud de l'Aisne, toutefois quelques-uns de nos postes
ont dû se replier sous la violence de la poussée
et de l'énormité des moyens employés.
Nos fractions de réserve interviennent avec beaucoup de
décision et rétablissent la situation ; enfin,
grâce à notre énergie tenace, nous
finissons par reprendre morceau par morceau presque
intégralement le terrain perdu.
Repli
des Allemands.
(28 septembre)
Aussi bien, les boches sont essoufflés, cela se sent ; le
28, ils commencent un nouveau repli, nous les talonnons et avons
l'indicible joie de voir un de leurs bataillons fuir vers Ostel, dans
le plus grand désordre.
Tu vois Fritz, s'il met les bouts de bois,
disent joyeusement nos
hommes. Ils veulent s'accrocher de nouveau, mais une fois encore nous
leur imposons notre volonté et nous leur enlevons Ostel et
Perche. Nous les possédons !
Depuis 2 mois, nous les avons refoulés sur 35 km de
profondeur, nous leur avons enlevé successivement une forte
position, 2 rivières et 1 canal : les 5
régiments, dont un de la Garde qui nous étaient
opposés ont été successivement battus.
Nous avons fait 300 prisonniers et pris un nombreux
matériel. Le régiment reçoit une 3
e
citation à l'ordre de l'armée en
récompense des beaux résultats obtenus :
Après avoir battu, le 1er août
1918,
et mis en
fuite, sous le commandement du lieutenant-colonel Gaube, un
régiment de la Garde allemande, a, sous le commandement du
chef d'escadron d'Humières, remplaçant le
lieutenant-colonel Gaube, blessé le 12 août 1918,
poursuivi et talonné pendant 2 mois
consécutifs, sans trêve et sans repos, 3 autres
régiments ennemis, en leur infligeant de lourdes pertes ; a
traversé, au cours de la poursuite, 2 rivières et
1 canal âprement défendus et s'est
emparé du village de Vailly en y organisant une solide
tête de pont. À capturer 100 prisonniers, un grand
nombre de mitrailleuses, de canons de tranchée, d'armes
précipitamment abandonnées par l'ennemi dans sa
retraite.
Relèves
et repos.
(30 septembre - 22 octobre)
Les 29 et 30 septembre, nous sommes enfin relevés et il
était temps, car nous avions donné sans compter
tout le
meilleur de nous-mêmes et nous étions à
bout de
forces.