98e Régiment d'Infanterie


98e régiment d'infanterie

1914-1918






Avant la Grande Guerre déchaînée en 1914 par l'Allemagne, orgueilleuse et cupide, le 98e régiment d'infanterie s'était acquis une noble gloire. Son passé est écrit en lettres d'or sur la moire de son drapeau. Wagram, Sébastopol, Lutzen, Montebello, sont de splendides victoires, récompenses de rudes efforts et de sévères sacrifices. Et c'est pourquoi lorsque l'emblème est déployé, leurs noms peuvent caresser, au gré du vent, ces 2 mots qui disent toute l'âme française :

HONNEUR ET PATRIE

Depuis 1850, le drapeau porte à sa lance la médaille d'or d'Italie. Cette haute distinction était, elle aussi, pour les soldats de 1914, le témoin de vertus guerrières que, de toute nécessité, il fallait tout au moins égaler.
Si maintenant la hampe du drapeau s'orne de la fourragère aux couleurs de la Médaille Militaire, si les broderies de la cravate s'embellissent de la Croix de Guerre à 4 palmes, c'est que les poilus du 98e régiment d'infanterie, officiers et soldats, surpassant peut-être leurs aînés, ce sont pendant 4 ans jetés avec tout leur coeur dans la bataille, pour mériter la victoire triomphale qui sauva la France et la Liberté.





Chapitre premier

1914 - 2 août-16 septembre

Mobilisation.

(2-5 août)

Aux derniers jours de juillet 1914, la France se voit dans l'impossibilité d'éviter la guerre que l'Allemagne a préparée depuis plus de 40 ans et qu'elle s'acharne à imposer.
Le pangermanisme a décidé de conquérir le monde, il commencera par la France, son ennemi héréditaire. Sûr du succès, il parle haut. Allons-nous encore capituler devant ces menaces ? Non. Les vexations et les insultes ont achevé de nous écoeurer. Nous ne voulons pas la guerre, mais puisqu'on nous y contraint, nous nous dresseront graves et fiers, et ce sera pour vaincre ou mourir !
Le défi est donc accepté. Dès le 2 août à 0 heure, les multiples opérations de la mobilisation commencent. Les réservistes arrivent en foule : on s'habille, on s'équipe. Les unités se forment et les revues se succèdent. Connaissance est faite et hautement se manifeste le besoin et le désir de s'entraider et de s'aimer. Vite et bien sont les mots d'ordre. Chacun apporte à tout travail une telle bonne volonté, la méthode et l'enthousiasme rendent la coopération si étroite, que l'âme nationale rénovée affirme sa dignité et sa confiance inébranlable en la victoire.
Le 3 août, les bataillons ont pris des cantonnements en ville et le 5, les travaux de mobilisation étant terminés, les chefs de bataillons passent la revue de leurs unités en tenue de départ. Le 3e bataillon (commandant Gaube), est rassemblé sur la place de la Mairie. La municipalité en profite pour inaugurer une statue. La foule est compacte ; le bataillon rend les honneurs au général Chandezon. On découvre la statue ; la troupe présente les armes et un immense "Hurrah ! ! " retentit. Le maire et le sous-préfet embrasse le général. C'est l'union sacrée ! On échange l'assurance d'une victoire prompte et complète.

Départ et Transport.

(6-7 août)

Le 6 août, les bataillons s'embarquent successivement et partent. L'émotion est poignante. On souffre et cependant on est heureux. Et c'est à qui des soldats chantera à plus vibrante voix le Chant du Départ, Sambre et Meuse et la Marseillaise.
Qui sera jamais trouver et accorder les mots dignes de célébrer les acclamations bienfaisantes des foules rangées au long des voies pour voir défiler les trains ? Les bras sont tendus, les coeurs battent à plein ; chacun tient à donner aux futurs poilus du pain, du chocolat, du vin, un gracieux sourire et même un généreux baiser. Pourquoi pas ? Les wagons sont fleuris. En y multiplient les dessins et les inscriptions à la craie : A Berlin ! Train de plaisir ! La tête à Guillaume !!! Et l'on interpelle les chefs de gare et l'on plaisante un GVC ! A Paray le Monial les dames de la Croix-Rouge distribuent des médailles dont s'ornent les capotes et képis. On dirait des trains de pèlerins. Et les convois s'acheminent avec une régularité aussi parfaite qu'inattendue vers la bataille aux cris ininterrompus de Vive la France !, proclamant la fierté des coeurs unis et avides d'une ample moisson de gloire.

Concentration.

(8-9 août)

La concentration des troupes françaises se fera dans les conditions prévues par le plan de mobilisation ; les anarchistes ne commettront aucun sabotage.
Le 98e débarque le 7 août près d'Épinal, région où les espions pullulent. Les habitants nous accueillent bien ; la bière est bonne, on ne s'en prive pas. Nous faisons partie d'une armée de 5 corps, en voie de concentration, et qui, sous les ordres du général Dubail, a pour mission d'atteindre Sarrebourg. Des nouvelles bienfaisantes circulent : les boches fuient à notre approche ; nos baïonnettes les épouvantes. Leur cavalerie n'ose pas se mesurer avec la nôtre ; nos troupes ont pris Colmar et Mulhouse. Qu'attend-on pour nous mettre en route nous aussi ? Notre désir sera bientôt amplement satisfait.

Marche à l'ennemi est prise de contact.

(10-19 août)

Du 10 au 20, nous marchons sous un soleil pesant, dans des flots de poussière ; nous subirons les arrêts multiples occasionnés par les convois et l'artillerie ; la soif et la faim nous tourmenteront ; masqués de sueur, sales, éreintés, nous dormirons pas à-coups, au bivouac, sur les routes ou dans les cantonnements encombrés. La pluie viendra, elle aussi, nous accabler.
Certes, la joie de franchir la frontière, le 17, nous donnera un sursaut d'énergie. En cette belle Lorraine aux larges ondulations, avec, dans le lointain, le décor des bois sombres, nous rêverons de superbes batailles à la française, drapeau déployé au front des régiments ; certes, le grondement du canon ragaillardira nos coeurs ; il est également certain que la vue des villages ruinés par l'incendie vivifiera notre haine ardente et sainte contre nos sauvages ennemis, mais la fatigue sera si excessive que nous nous plaindrons. Bah ! Autant en emporte le vent ! Comme les soldats du Premier Empire, nous sommes des grognards, mais, comme eux, nous marchons quand même et c'est pour une plus grande épopée.

Sarrebourg.

(20 août)

C'est le 20 août. Il fait un soleil magnifique. Le 98e va recevoir le baptême du feu.
De ce combat, comme des autres multiples qui suivront, il serait intéressant de tout dire. Chacun de nous serait heureux de se revoir, ici sous les obus, là sous les balles de mitrailleuses, ailleurs cassant d'un coup de crosse une tête de Boche ; il nous plairait de retrouver, en un cheminement pas à pas, les noms des villages et des tranchées où nous avons senti le vent de la mort ; mais il faut faire court, ne donner que les grandes lignes des opérations. Aussi bien n'avons-nous pas vécu ces heures terribles avec assez de calme, pour nous situer nous-mêmes à tout instant sur les terrains de lutte.
Dès le lever du jour, le 98e quitte Hesse, son très mauvais cantonnement d'une nuit et se porte au Bois de Yungford. Vers 8 heures, le bataillon Besson (2e) va renforcer vers Schneckenbusch, le 16e régiment d'infanterie fortement contre-attaqué ; mais insuffisamment soutenu par notre artillerie, il doit se replier.
À 17 heures, toute la division attaque. Au 98e le bataillon Besson, à droite, engage un terrible combat dans Schneckenbusch, mais ne peut en déboucher. Au centre, malgré la violence du bombardement ennemi, le bataillon Gaube (3e), et le 62e bataillon de chasseurs à pied franchissent le canal de la Marne au Rhin. Le bataillon de Fabrègues (1er) progresse aussi à gauche. La fusillade ennemie devient très nourrie. Quand même, notre ligne de tirailleurs ardents, rampe, bondit, gagne du terrain, la nuit met fin au combat. À cette époque, il en était presque toujours ainsi.
Des lueurs d'incendie accusent le repli de l'ennemi. Vainement, on s'efforce de rétablir les liaisons et de se regrouper. La nuit est d'encre ; il pleut ; la fatigue est extrême ; depuis 3 jours on a pour ainsi dire pas dormi.

Repli et Retraite sur la Mortagne.

(21-24 août)

Nous nous replions d'abord sur Hesse, puis sur Nitting. Là, on se compte. Les pertes en officiers et en soldats sont très sévères. Pendant 4 jours, il nous faudra reculer ainsi. L'encombrement des routes, le croisement des unités rendront les marches extrêmement lentes et pénibles. À chaque arrêt, les hommes s'endormiront. Affamés, ils arracheront des carottes pour les dévorer ; les arbres fruitiers seront dévastés.
Mais toutes ces misères ne feront pas qu'on se plaigne outre mesure. Et à Hardancourt, les soldats baptisés Poilus défileront crânement en regardant leur drapeau que fera déployer le commandant Gaube, maintenant seul officier supérieur du régiment.

Reprise de l'Attaque.

(25 août)

Jusqu'au 31, nous ne cesserons d'aller et de venir et de nous battre et de marcher, et de nous battre encore autour de Saint-Maurice, de Danvillers et du Bois Fays, pour tenir notre ennemi en échec et permettre au général de Castelnau d'exploiter la victoire qu'il a emporté sur le plateau de Malzeville.
Maintenant, nous sommes copieusement ravitaillés. On mange, on dort, on se refait. Le moral est excellent.
Le lieutenant-colonel Deffis, évacué pour fatigue, est remplacé à la tête du 98e par le lieutenant-colonel Didier.

Xaffévillers.

(9 septembre)

Le 8 septembre, l'attaque générale des positions ennemies est ordonnée pour le lendemain.
Le 9, à 2 h 30, le 98e se met en mouvement. Sa mission est d'enlever Xaffévillers et de pénétrer profondément dans le bois du Grand-Bras.
Le 3e bataillon est d'avant-garde. On marche en colonnes doubles ouvertes. La nuit très noire gêne la progression et les liaisons, mais nous cache à l'ennemi. Nous surprenons ses postes de Xaffévillers. Nos sapeurs du génie, alourdis par leurs passerelles, sont en retard. On entre dans un ruisseau sans hésiter. Mais une patrouille boche nous signale à son artillerie de campagne. Les 1er et 2e bataillons, pris sous un formidable barrage, perdent leur cohésion.
Le 3e bataillon, accueilli par les feux de l'infanterie allemande blottie dans les tranchées aux lisièrex du bois, subit de lourdes pertes. Il progresse quand même et pénètre dans le bois du Grand-Bras. Il est 8 heures du matin. Toute la journée, il restera ainsi en flèche, dans une situation critique, car les régiments qui encadrent le 98e ont vainement tenté de se mettre à sa hauteur. Il recevra l'ordre de se replier, mais ne pour le faire que la nuit. À 22 heures, il arrivera à Saint-Maurice.

Transport dans l'Oise.

(10 septembre)

Le 11 septembre, après 2 jours de marches rudes, nous embarquerons à Tahon les Vosges. Où va-t-on nous transporter ? Nul ne le sait. On nous dit que les Français ont remporté une très grande victoire sur la Marne. Mais comment pourrions-nous y croire, nous, qui malgré nos succès, nous replions sans cesse. C'était vrai pourtant ! Aussi quelle ne fut pas notre joie, le 12, à Épinal, quand la lecture de l'ordre du général Joffre nous confirma la bienfaisante, la miraculeuse nouvelle.
Débarqués à Creil, nous marchons sur Clermont. La population nous acclame. Et c'est à qui nous exprimera de son mieux le désordre de la retraite allemande, le défilé, pendant 15 heures, de troupeaux d'hommes éreintés et découragés. Ah ! leur Nach Paris, avec quel orgueil brutal et il le hurlait naguère ! Ils le ravalent maintenant. Paris, la capitale du monde, ne sera pas souillée par les bottes de ces bandits.

Reprise de contact.

(16 septembre)

Vite, vite ! En route. Il importe de ne pas perdre le contact des vaincus de la Marne. Les marches seront longues et rudes.
Marchons, il le faut ! Coeurs et jambes sont solides. Nous avons fait preuve d'une belle énergie, mais nous sommes appelés à plus grandes épreuves. Pour tenir noblement nos promesses, marchons !!!

en haut retour

Chapitre II

17 septembre - 8 octobre

Combats de Béthancourt.

(17 septembre)

Le 16 septembre, le 98 cantonne en entier à Ribécourt. Dès le matin du 17, l'ennemi s'infiltre par le bois de Cambronne et menace de nous tourner. Le 3e bataillon, rappelé en hâte de Ribécourt, résiste pendant 3 heures aux lisières sud de Béthancourt, temps suffisant pour permettre à un grand nombre d'éléments de la division de passer l'Oise au pont de Bailly. Il se replie ensuite sur un ordre du général de division.
Pendant plusieurs jours, faisant tantôt face à l'est, tantôt face à l'ouest, nous tiendrons les ponts de Montmacq et de Plessis-Brion.

De Thourotte à Lassigny.

(18-29 septembre)

A St Léger, à Thourotte dans la forêt de Laigue, nous subirons l'artillerie lourde allemande et nous ragerons de ne pas en avoir à lui opposer. Nos pertes seront assez fortes, mais nous tiendrons. Et le 22, nous entrerons dans la bataille pour Lassigny. Là, nous nous heurterons à la formidable organisation défensive que l'ennemi, né prudent, avait amorcée au cours de sa marche sur Paris.
Engagés, sans reconnaissance préalable, dans la direction de la ferme La Taulette, les 1er et 2e bataillons ne peuvent la dépasser. On s'accroche au terrain ; on creuse des trous qui deviendront des tranchées. La guerre de taupe, l'abominable guerre commence.

Bois des Loges.

(30 septembre)

Le 30 septembre au soir, le régiment se trouve en entier au Bois des Loges dont il occupe les lisières nord et nord-est, en liaison avec le 16e régiment d'infanterie qui tient Canny, Fresnières et Crapeaumesnil. Le Bois des Loges est une position de première importance. Sa perte découvrirait Compiègne et la route de Paris. On le sait au 98e aussi va-t-on déployer une activité inlassable.
Pendant la première quinzaine d'octobre, l'ennemi s'acharnera sur nous en pure perte. Il prendra tour à tour Beuvraignes, Crapeaumesnil et Fresnières. Le Bois des Loges sera menacé d'encerclement, mais envers et contre tout, nous le garderons.

Combat des Loges.

(5-7 octobre)

Le 5, les Allemands attaquent le village ; ils peuvent même y pénétrer, mais une habile contre-attaque menée par le sous lieutenant Le Moël nous rend la position et cueille 250 prisonniers.
Le 7, 4 régiments tentent de nouveaux d'enlever les Loges. Endiablés, nous luttons corps à corps dans les rues du village et sur le parapet de nos tranchées. Nos pertes sont graves, mais nous restons maîtres du terrain en faisant 400 prisonniers. C'est par centaines que les cadavres boches mordent la terre. Dans la nuit du 11 au 12, une patrouille du 121e régiment d'infanterie, dont un bataillon est venu nous renforcer, trouve parmi les morts le drapeau du 49e Poméranien. Cet abandon fait par l'ennemi prouve à lui seul l'ardeur de la lutte ! Il nous appartenait, ce drapeau. Le 98e en revendiquait la propriété. Le haut commandement promit de citer le régiment à l'ordre de l'armée. Mais les circonstances amenèrent l'oubli de cette promesse. En 1918, quand, par 3 autres citations à l'ordre de l'armée, le 98e eut affirmé hautement sa vaillance, le lieutenant-colonel Gaube employa toute sa ténacité a obtenir la récompense promise en 1914. Le 98e fut cité à l'ordre de l'armée :
Magnifique régiment qui, sous l'impulsion ardente du lieutenant-colonel Didier, a été l'âme de la défense de la position des Loges pendant les journées des 5, 6, 7, 8 et 9 octobre 1914. À capturer à l'ennemi de nombreux prisonniers et lui a fait subir des pertes telles que le drapeau du 49e régiment Poméranien a été relevé devant nos lignes au milieu des morts et des blessés.

Honneur et Gloire à nos Vaillants Soldats.
8e Drapeau Allemand du 49e Poméranien Décoré de la Croix de Fer.
Ce drapeau, richement brodé, a été trouvé par des Soldats du 121e d’Infanterie sous des monceaux de cadavres allemands, le 11 octobre 1914 devant le bois des Loges, près Lassigny, dans les tranchées battues par la 9e batterie du 36e Régiment d’Artillerie.
Tel qu’il est déposé aux Invalides.

Les dates des 5 et 7 octobre 1914 marquent les 2 faits les plus glorieux du début du 98e et plus tard de nouveaux noms sont inscrits sur les drapeaux, celui du Bois des Loges figurera sur l'emblème du régiment.
Entré dans ce Bois le 30 septembre, le 98e y restera plus d'une année. Il apportera un tel soin à l'organisation et à la bonne tenue de son secteur, si parfaits seront la discipline, la vigilance, l'état sanitaire, l'esprit de corps, qu'on l'appellera : le régiment du Bois des Loges et qu'on se répétera avec fierté cet éloge du général de Castelnau, commandant l'armée : Temps que le 98e occupera les Loges, je serai tranquille.

en haut retour

Chapitre III

8 octobre 1914 - 24 février 1916

Organisation du Bois des Loges.

(8 octobre 1914 - 21 mars 1915)

A dater du 9 octobre, les Allemands ne tenteront plus de nous arracher les positions des Loges : ils savent que ce serait en vain. Mais pour se venger, ils ne cesseront de nous prodiguer balles et obus.
Et nous nous installons aux Loges.
Notre premier soin fut d'assainir le champ de bataille. Un millier de boches y gisaient, sans sépulture. L'inlassable, le brave entre les braves, le modèle de modestie, le légendaire Vichy, prêtre, caporal brancardier, se dévoua au ramassage périlleux et répugnant des chères pourries. Toutes les nuits, et pendant des mois, sous la protection de patrouilles, il circule avec ses brancardiers et ceux du GBG en avant de nos réseaux. Les premiers morts ramenés sont enfouis dans des fosses communes. Les autres, ils sont si nombreux, si décomposés, si puants, qu'on ne peut que les arroser de goudron et les incinérer pendant la nuit.
La logique et la méthode règlent l'organisation du secteur. On utilise à plein les effectifs, les bonnes volontés et les compétences. Les éléments de tranchées, les trous de tirailleurs sont réunis et approfondis. La lisière du bois est bientôt gardée par une ligne continue où l'on peut circuler à l'aise, à l'abri des vues et des balles. Officiers et soldats, nous avions été instruits pour la guerre en rase campagne. La guerre de taupe nous trouva tout d'abord un peu désemparés, mais le Français est né malin. Il y a longtemps qu'on l'a dit pour la première fois ; il y a plus longtemps qu'il le prouve. Au 98e on ne connut jamais la routine, l'endormante uniformité. À peine une amélioration sera-t-elle trouvée par quelqu'un que tous l'exploiteront. Les créneaux subiront diverses transformations ; reconnus inutiles, voire même nuisibles, ils seront supprimés. Chacun aura alors sa place de combat sur la banquette de tir pour l'utilisation de son arme à bras francs.
En arrière sont les PC et les points de ravitaillement. Pour les atteindre sans danger, on créera les boyaux. Le Bois des Loges en sera sillonné.
Mais vient l'hiver, le plus terrible ennemi des troupes en secteur. Les banquettes et parapets de tir s'érosent et s'éboulent. on clayonne. Les écopes les plus diverses et les plus imprévues vident boyaux et tranchées devenus des ruisseaux de boue. Des équipes de cantonniers font des chemins de rondins. On organise des ateliers de schlittage et de réseaux. Pour généraliser dans le régiment les découvertes intéressantes, une école de pionniers est créée.
Il serait trop long d'énumérer les travaux si pénibles et si variés exécutés au cours de nuits sans nombre. Aussi bien les poilus de 1914 se souviendront toute leur vie de l'énergie tenace qu'ils durent déployer dans leur lutte contre la pluie, la neige, le dégel, les balles et les obus.
Un régiment en ligne dévore du matériel. Malgré toute sa bonne volonté, le service du génie ne peut satisfaire aux nombreuses et pressantes demandes. "Système D", disent les poilus. Et ils savent au prix de quel labeur ils purent remplacer la nichette individuelle par un abri enterré, et à l'épreuve pour une escouade ou pour une demi-section.
Les bois souffrirent beaucoup. Les chefs durent se gendarmer pour les soustraire à une complète destruction.
De tous les points du front, le haut commandement recevait chaque jour le compte rendu détaillé des opérations. Ils en tiraient des enseignements qu'il édictait à toutes les troupes en secteur : ligne de doublement, postes camouflés, guérites, fils de fer en quinconce, compartimentage, chemins de rocade, etc..., emploient toutes les énergies. Cette lourde tâche eut le précieux avantage de tenir les hommes en haleine et de supprimer l'ennui.
Pendant la période agitée d'octobre, les unités en ligne refusèrent le repos qu'on leur offrait à quelques kilomètres en arrière. En diminuant la densité des troupes en tranchées, le commandement se créa des réserves. Les bataillons alternèrent pour aller passer quelques jours au repos. Les hommes purent se détendre, dormir, se laver. Oh ! se laver, c'est connaître une des joies du ciel, n'est-ce pas, poilus des tranchées ?
La coopération du 100e puis du 70e territorial rattachés au régiment et peu à peu amalgamés, facilita, au début de 1915, le jeu de ces relèves partielles.
Conchy les Pots jusqu'en juin, et Rolliot jusqu'en septembre 1915, furent nos cantonnements de rafraîchissement.

Les Relèves.

La relève ! seuls les combattants, les vrais, les boueux des premières lignes, ces pauvres gars que, par pitié, on envoie de temps en temps, le plus souvent possible, habiter, à quelques kilomètres des tranchées, des caves sous des murs écroulés, connaissent la signification exacte de ce mot. Quelle science, quel instinct, quelle résignation, quelles vertues presque surhumaines exigèrent ces montées ou ces glissements en secteur ! Tu le sais, toi fantassin, plein de poux, admirable fantassin, qui portais toute ta garde-robe sur ton dos. As-tu assez peiné, sué, râlé sous le poids du sac et des couvertures. Les courroies de tes musettes et de tes précieux bidons te coupaient les épaules ; tu étais tellement encombré, tellement large qu'il te fallait marcher de côté dans les boyaux trop neufs ; tu buttais et tombais dans les champs de betteraves, tu te cognais aux arbres, tu te tournais le pied sur les mauvais schlittages ; toi, si bavard, si indépendant, tu restais à ta place, à la queue leu leu, dans la nuit, sous la pluie, dans la boue, sous la neige, pendant des heures, sans lumière, en silence, pour ne pas éveiller les canons et les mitrailleuses. Un jour vint où, pour t'épargner des fatigues, on te choya au point de te transporter en auto-camions. Tu savais ce que cela voulait dire, et comme les Dieux, dans les tableaux, sont représentés sur des nuées, toi, cahoté, en tas avec tes camarades, tu roulais sur les routes dans des nuages de poussière. Dire tes relèves ? Impossible. C'est un drame à cent actes divers. Seule, une extrême fatigue est commune à toutes. Ah ! certes, tu grogniais . Oui, tu ne te privais pas de grogner. C'est dans ta nature. Mais tu marchais quand même, parce que tu comprenais la nécessité de tes efforts. Tu n'étais pas un numéro, une machine dans la bataille, mais un homme. À toutes les minutes, tu te voyais sous les yeux de la France et de tes Aimés et tu tenais à être digne d'eux. Tu marchais parce que dans la poche de ta capote, sur ton coeur, tu sentais un gros paquet de lettres jaunies par la sueur, que tu relieras là-bas, au petit poste, dans un trou d'obus, à quelques mètres du boche maudit !

Secteur de Plessier le Roye

(avril - mai 1915)

Pendant les mois d'avril et de mai, nous tenons le secteur de Plessier le Roye. Le 1er juin, nous reprenons le secteur du Bois des Loges.

Le Bois des Loges.

(1er juin - 25 septembre)

En juin, le lieutenant-colonel Didier quitte le régiment, le lieutenant-colonel Frantz le remplace. Relevés en fin de septembre, nous nous en irons avec regret du Bois des Loges, notre bois où nous avons lutté contre le boche et contre les éléments, où nous avons connu les fatigues les plus pesantes, mais où nous avons, malgré tout, savourer des heures délicieuses, toutes fleuries de nos propos gaulois.

En arrière du front.

Secteur d'Attiches
(26 septembre 1915 - 24 février 1916)

Octobre et novembre nous verront en déplacements continuels en arrière du front, entre Montdidier et Demuin.
Un jour, nous eûmes l'honneur de défiler sur le plateau de Malpart devant le général Joffre, le vainqueur de la Marne, le Père la Victoire.
Dans le secteur de la Ferme d'Attiches, de fin novembre à fin janvier, nous mettrons à profit l'expérience acquise dans l'organisation du Bois des Loges. Et quand, le 1er février, on nous embarquera en chemin de fer par alerte pour nous transporter au sud de la Forêt de Compiègne, nous serons frais, dispos, alertes, le coeur et le corps bien en forme, parés, comme disent les marins, pour toutes les aventures.

en haut retour

Chapitre IV

1916 -- 25 février - 15 octobre

Verdun - Mort-Homme.

(25 février - 17 mars)

La bataille de Verdun a commencé le 21 février. Le Kronprinz, cette panthère (bêtise mêlée à la cruauté), a résolu d'avaler Verdun. Nous lui briserons crocs et griffes. Les nombreux et formidables combats absorberont beaucoup de divisions. La nôtre est trop belle pour ne pas être appelée à l'honneur de sauver la forteresse.
En effet, le 25 février, le régiment s'embarque en chemin de fer à Pierrefonds et descend à Revigny. Alors, commence une série de marches sur un sol dévasté, massacré par les obus, à travers des villages que les boches ont incendiés à la main. Et nous atteignons le Bois Bouchet où, glacés jusqu'aux os, nous dormons à poings fermés sous nos toiles de tente. Le 11 mars, nous sommes aux Bois Bourrus et le 12, à 4 heures, nous attaquons le Bois des Corbeaux. Les bataillons s'avancent dans un ordre parfait, parce qu'ils ont la chance de n'être bombardés que par des obus de gros calibre. Et ils franchissent la tranchée de 1ère ligne où sont blottis quelques éléments du 139e et du 92e.
Mais ils n'ont pas plutôt atteint la crête, face au Bois des Corbeaux et à Cumières, qu'ils sont arrêtés par le feu des mitrailleuses tapies aux lisières du bois. Il est absolument impossible de progresser. Nos pertes sont graves. Heureux ceux qui sont morts d'une mort nette ! Mais n'ayant pas voulu être d'inutiles cadavres, ils ont tous eu une mort impeccable.
Ordre nous est donné de nous replier sur les tranchées arrières. Jusqu'au 17, nous irons et viendrons sur ce sol chaotique. Nous subirons des bombardements, des tempêtes inouïes d'obus qui brisent les nerfs et broient la pensée.
À plusieurs reprises, le boche nous attaque avec vigueur, mais nous l'arrêtons malgré ses seringueurs d'huile enflammée. Ah ! qu'il est donc vrai ce mot de Goethe, le plus grand des écrivains allemands : Notre peuple, cruel par nature, et que la civilisation a rendu féroce. Oui, chaque jour, il s'enfonce davantage dans les gouffres du pire : il a besoin de se déshonorer ! Quelle mentalité ! Quelle Kultur ! Et c'est ça le cadeau que, vainqueur, il nous eut apporté comme un bienfait !
Le 1er bataillon avait reçu une mission spéciale. Le 8, il nous avait quittés. Sous les ordres du capitaine Gullon, remplaçant dans son commandement le commandant Gaube, nommé lieutenant-colonel du 352e il avait franchi les Bois Bourrus et le dangereux carrefour de la Ferme La Claire, traversé les pans de murs que furent Chattencourt et progressé lentement, péniblement, en poussière humaine, jusqu'à ses emplacements définitifs. Enfin, il tente à plusieurs reprises d'enlever 2 ouvrages cerclés d'épais réseaux. Émietté, il se replie sur le Mort-Homme. Là, c'est l'enfer, le fracas des gros obus dont les énormes panaches noirs ou jaunes sales s'étalent comme pour envelopper le mont d'un suaire. Rien n'y fera. Nous resterons maître du Mort-Homme et des milliers de boches mordront le sol.
La 2e compagnie se distingua tout particulièrement au cours d'une de ces terribles journées. Elle fut récompensée par cette citation à l'ordre de l'armée :
Après avoir subi un bombardement sans précédent, pendant 4 jours, la 2e compagnie, sous les ordres du sous-lieutenant Sénéchaut, blessé au cours de l'action, s'est porté avec une vigueur superbe à la contre-attaque et a arrêté l'avance de l'ennemi.
Les combats de Verdun sont finis pour nous. Mais nous y reviendrons plus tard pour y remporter une splendide victoire.
Le lieutenant-colonel Frantz ayant reçu de multiples blessures à l'attaque du 11 mars, le colonel Goybet a pris, le 20 mars, le commandement du régiment.

Secteur Nouvron - Vingré.

(23 avril - 15 octobre)

Après quelques jours d'un repos très relatif au Bois Bouchet, on nous embarque en autos, puis en chemin de fer, et nous cantonnons près de Crépy en Valois. Nous quittons ce délicieux pays le 23 avril pour aller remplacer en ligne, dans le secteur de Nouvron - Vingré, le 352e d'infanterie, régiment du lieutenant-colonel Gaube.
C'est un secteur organisé, mais il y a toujours à faire, d'autant que par ses mines l'ennemi s'entend à nous donner du travail. Comme toujours, on se met à la besogne avec le plus parfait entrain. Nous construisons des abris, des PC ; des grottes sont aménagées. Et, pour nous renseigner sur le dispositif de bataille de l'ennemi, nous faisons des coups de mains.
Le régiment est en forme ; les effectifs sont presque au complet, grâce à un renfort de la classe 1916.
C'est à cette époque que la 4e compagnie de chaque bataillon quitte le régiment de combat pour constituer un petit dépôt divisionnaire qui s'appellera le CID. C'est le réservoir où l'on puisera, la veille des attaques, pour renforcer les effectifs, et, le lendemain, pour combler les vides.
Le 30 septembre, nous sommes au camp de Crèvecoeur où passe à tour de rôle les divisions pour y faire quelques jours d'instruction intensive. Nous y apprenons les nouvelles méthodes d'attaque avec tous les moyens dont dispose l'infanterie, nous étudions les liaisons avec l'artillerie, par la saucisse, l'avion, la TPS et la TSF.
Serions-nous promis à quelque grande offensive ? Allons-nous enfin bouter hors de France ces Allemands dont la sauvagerie sans cesse accrue tourmente implacablement les Français des régions envahies ?

en haut retour


Chapitre V

1916 - 1917 -- 15 octobre - 15 mars

Bataille de la Somme.

(16 octobre - 13 novembre)

Cependant que Verdun subissait les formidables assauts du Kronprinz, la France et l'Angleterre préparent à une forte offensive sur la Somme. Elle devait y attirer les disponibilités allemandes et par là même sauver la forteresse.
Cette offensive, commencée avec brio le 1er juillet, bat encore son plein quand nous y entrons le 16 octobre.
Le colonel Goybet ayant pris le commandement de la brigade, le lieutenant-colonel Gaube prend, le 21, le commandement du régiment. Il le gardera pendant toute la campagne.
Jusqu'au 22 octobre, nous sommes maintenus en 2e ligne. Le ciel fourmille d'avion et de saucisses. Notre artillerie fait rage avec ses pièces lourdes : 305, 340, 400. L'ennemi qui possède également de puissants moyens répond furieusement ; si formidable est le vacarme que l'on s'écrira : C'est l'enfer de la Somme.
Le 23, malgré un fort bombardement, nous relevons le 1er zouaves et le 9e tirailleurs sur les positions qu'ils ont conquises dans les bois au nord de Chaulnes. Et nous préparons de suite l'attaque du bois Kratz et du Pressoire. Travail pénible toujours à refaire, car la pluie incessante transforme le champ de bataille en un lac de boue où l'on s'enlise presque. Les corvées s'égarent, les ravitaillements de toutes sortes se perdent ; s'ils arrivent, ils sont sales et parfois inutilisables. La vase est si profonde et si gluante que beaucoup d'hommes coupent, pour s'alléger, le bas de leur capote. Détrempées, les semelles des souliers restent collées au limon. On se chausse de sac à terre.
Et le marmitage poursuit sa fureur et les pertes sont lourdes. La fatigue impose des relèves fréquentes. Et l'on entend les hommes s'écrier : Passons par le bled. Plutôt mourir d'une balle ou d'un éclat d'obus que de s'ensevelir dans les boyaux. Mais, le 7, les zouaves remportent un succès. Nous les relevons dans la nuit. Tout est à faire sur ce terrain qu'ont bouleversé profondément nos obus.
Et cependant, il faut se terrer et se tenir prêt à repousser les inévitables contre-attaques. Elles viennent. Mais, comme les fatigues endurées n'ont pas entamé notre moral, nous clouons l'ennemi sur place et lui infligeons des pertes sanglantes.

Secteur de Chilly.

(14 novembre - 14 décembre)

Après nous être rafraîchis quelque jour à Plessiers - Rozain - Villers, nous occupons près de Chilly des tranchées où les boches ont vécu pendant 3 ans. Ah ! Nous avait-on assez prôné dans les journaux les magnifiques installations boches. Leurs tranchées ? du ciment armé ; leurs abris ? des palais ! ; leurs boyaux ? de belles voies balayées, brossées, astiquées ! et l'électricité partout, dans le moindre coin.
Comme vite s'évanouirent ces légendes ! La pluie érode aussi bien le sol où se cachent les taupes boches que celui où nous nous terrons. Certes, les abris ne manquent pas, mais ils sont étroits, l'ouverture est petite ; le plafond est tellement bas qu'on ne peut se tenir droit. Bref, tout est à l'avenant. En rien l'allemand n'est notre maître, sauf dans le crime.

Repos à St Thiebault

(20 décembre 1916 - 22 janvier 1917)

Puis, par étapes, nous gagnons Villers-Cotterêts, où nous nous embarquons en chemin de fer pour St Thiebault. Nous y passons, dans un repos complet, les jours de Noël et du nouvel an. Il fait froid, la neige tombe, mais nous sommes chez de si braves gens ! L'instruction est reprise. Et l'on organise de très intéressant concours de spécialités qui, plus tard, deviendront très en honneur dans les armées.
La fin de janvier nous trouve dans des baraquements bien aménagés sur les bords de l'Oise. L'hiver est rude. Mais résistants, pleins de sève, nous supporterons facilement cette vie.
Et puis le travail, si pénible soit-il, est des plus attachants. Nous créons des boyaux larges où pourrait passer une voiturette de mitrailleuse. Nous creusons d'autres longs boyaux plus larges encore et on nous dit : ce sont des boyaux d'évacuation. Notre commandement prépare-t-il une offensive ? Certes ! Et nous en serons.

Secteur de Plessiers de Roye - Le Plémont.

(22 janvier - 15 mars 1917)

Nous voici dans le secteur de Plessiers de Roye dont nous connaissons les moindres détails. Là, devant nous, Lassigny et le Plémont, dominant le terrain vaseux où, à force de clayonnage, nous circulons vus jusqu'à mi-corps.
Le Plémont ! Qui ne connaît le Plémont ! qui n'a frissonné à la pensée qu'il lui faudrait un jour enlever d'assaut cette masse bordée de fil de fer, sillonnée de tranchées et de boyaux, émaillée de réduits et de blockhaus en ciment armé, d'observatoire à l'épreuve des gros obus et d'où le boche, guetteur tenace, lit notre terrain d'attaque comme on lit un livre.
Les préparatifs d'attaques se multiplient, l'artillerie de tous calibres crée des emplacements de tir pour volatiliser Lassigny et le Plémont ; le génie accélère la construction des lignes téléphoniques enterrées et d'abris de munitions. Mais comment se fait-t-il que notre activité, vue des avions ennemis, marquée sur le terrain malgré les plus habiles camouflages, n'attire pas les bombardements ? Ce silence presque total nous inquiète.
Aussi bien, pressés vigoureusement par les Anglais, les Allemands reculent, mais en bonne ordre. Est-ce le repli général dont les journaux parlent tant ? Il faut savoir ! Le commandement prescrit des coups de main.

en haut retour

Chapitre VI

1917 -- 16 mars - 27 juillet

Le repli allemand sur la ligne Hindenbourg - la poursuite.

(16-22 mars)

Décidément, le vautour boche a du plomb dans l'aile.
Les journaux allemands, dont nous lisons chaque jour des extraits dans les nôtres, annoncent un repli stratégique sur une puissante ligne Hindenbourg. Notre haut commandement, très avisé, se renseigne par tous moyens, tout en continuant la préparation offensive de grand style. Il la déclenchera dans la forme prévue, en se réservant de la modifier au cours de son exécution.
Le 16 mars, l'ordre d'attaque générale est donné. La mission du 98e est d'enlever Lassigny et d'atteindre les pentes de Plessis - Cacheleux. À droite, les Bretons de la 61e DI prendront le Plémont. Et le bombardement formidable commence ! Il doit durer plusieurs jours. L'artillerie ennemie répond, mais peu. Dès la première nuit, des reconnaissances sont envoyées. Elles ne rencontrent aucune résistance. C'est donc vrai, l'ennemi se retire. Vite, vite, en avant ! Le 2e bataillon trouve Lassigny vide de boches. Le 3e bataillon dépasse le 2e et pousse jusqu'à la Divette. Pas un coup de canon, pas une balle. Des détonations et des lueurs lointaines signalent le recul des vandales. Mais ils occupent encore Plessis - Cacheleux. Nos 210 bombardent le village, puis 2 compagnies l'encerclent et cueillent une grappe d'ennemis laissés en arrière-garde.
Pendant 3 jours, nous marchons sans voir notre adversaire, mais c'est à chaque pas que nous trouvons trace de son passage. Dans les villages ruinés par les explosifs, l'incendie et la hache, se jettent vers nous des civils français ; leur joie est si profonde qu'ils ne savent comment nous l'exprimer. Tous disent : Ils nous ont volés, pillés, mais ils crèvent de faim. Puis ils nous mettent en garde contre la ligne Hindenbourg savamment organisée. Tous les carrefours ont été minés ; immenses sont les entonnoirs ! Les pionniers ont du travail, mais c'est à qui les aide pour faciliter la progression de notre artillerie, ardente à nous suivre.
Ah ! Quels monstres sont nos adversaires ! Ils ont assassiné tous nos arbres fruitiers ! Le sentiment de haine, profondément ancré dans nos coeurs, s'exaspère devant tant d'horreur. Nous, paysans, nous savons que les obus peuvent ravager un champ, c'est la guerre ; mais taillader les arbres à mort, empoisonner les sources, tué des vieux, des femmes, des enfants, enlever surtout des femmes et des jeunes filles, c'est inouï et à jamais impardonnable.
Le 20, le contact est pris aux abords de Liezest. De très nombreuses mitrailleuses interdisent le canal Crozat. Toutes les passerelles ont été détruites, sauf celle de l'Ecluse. Et, quand même, Liez est enlevé en un tour de main.
Un repos nécessaire des 8 jours nous est donné. Ah ! que nous étions fiers en traversant Guiscard, musique en tête et drapeau déployé ! Et qu'il était alerte et dégagé notre pays sur le pavé de Ham ; notre crânerie donna sûrement un regain d'ardeur aux braves territoriaux qui réparaient un peu les rues pour recevoir dignement le Président de la République.
Nous voici à Fluquières, en contact immédiat avec les troupes anglaises. Nous réfectionnons des tranchées de 2e ligne qui, nous en sommes certains, ne serviront jamais, tant est grand notre foi en la victoire.

Retour en ligne.

(2 avril)

Puis nous allons relever le 90e à Castres - Gauchy. Ici, pas de tranchées, et tout le terrain est vu des clochers de Saint-Quentin, surtout de la cathédrale. Quelle belle cible pour notre artillerie que ses flèches, ses toits bleus et ces cheminées d'où les ennemis nous observent ! Nos obus tueraient du boche. Mais pouvons-nous massacrer nos cités ? L'ennemi n'en a-t-il pas assez détruit de fond en comble ? Vus de partout le jour, nous travaillons la nuit. Les artilleries adverses se bombardent sans interruption avec du gros.
Le sort de Pâques, Saint-Quentin est en feu ! Est-ce le signal d'un nouveau mouvement de recul ? Le commandement ne croit pas à un arrêt définitif des Allemands sur la ligne Hindenbourg.
Il fait très froid ; il neige, il pleut, il vente ; la vie en secteur est des plus rudes, mais nous tenons sans nous plaindre et notre joie est immense en apprenant, le 9, qu'au nord de Saint-Quentin les Anglais ont fait 11 000 prisonniers.

La Biette.

(13 avril)

Dans la nuit du 12 au 13 avril, notre artillerie fait rage. La mission du 98e est d'enlever, le 13, à 5 heures, la 1ère position entre le canal de Saint-Quentin et la ferme du Pire - Aller. Premier objectif : la sucrerie de la Biette.
À l'heure dite, le bataillon Lyet (2e) attaque avec vigueur. Deux compagnies franchissent tant bien que mal les 2 premiers réseaux de barbelés, mais elles sont arrêtées devant un 3e. Les balles de mitrailleuses rasent le terrain et beaucoup d'officiers et de soldats tombent blessés ou frappés à mort. La compagnie de soutien a fait des prisonniers, mais le bataillon, malgré toute sa vaillance, a échoué. Il est contraint de se replier sur ses positions de départ.
Les lignes et les défenses ennemies se sont révélées puissantes. En leur état actuel, elles défient tout assaut. Cependant, le commandement prescrit, pour 18 h 30, le même jour, une nouvelle attaque. Elle sera faite par le bataillon Ferrard (1er) qui a relevé le 2e. Les poilus savent bien que les 75 et les 155 n'ont pas pu détruire toutes les mitrailleuses et tous les barbelés en quinconce qui ont arrêté leurs camarades le matin, mais ils ont l'âme trop belle pour hésiter.
Bravement, stoïquement, les vagues du 1er bataillon s'avancent dans un ordre parfait. Mitrailleuses et obus les éprouvent cruellement ; elles progressent quand même. La 3e compagnie aborde les maisons de la Biette ; mais brusquement encerclée par un bataillon allemand, elle lutte en désespérée. Finalement, elle est prisonnière.
La 2e compagnie perd tous ses officiers et presque tous ses cadres.
L'attaque n'a pas réussi, mais l'honneur est sauf. La 3e compagnie, la 7e compagnie et la 2e section de mitrailleuses de la CM2 sont citées à l'ordre de l'armée.
Citation de la 2e compagnie :
Le 13 avril 1917, la 2e compagnie, sous le commandement de son chef, le capitaine Blanchet, s'est porté à l'attaque des tranchées ennemies dans un ordre parfait et avec un entre entrain admirable. Arrêtée par des réseaux non détruits et soumise au tir de barrage et au feu des mitrailleuses, elle n'en a pas moins persisté dans son effort à poursuivre sa mission, jusqu'au moment où le capitaine, tous les officiers et sous-officiers eussent été mis hors de combat. Déjà citée à l'ordre de la 1ère armée, à Verdun.
Citation de la 7e compagnie et de la 2e section de mitrailleuses :
Le 13 avril 1917, sous l'énergique impulsion du lieutenant Vogel, commandant la compagnie, et de l'adjudant Roche, commandant la 2e section de mitrailleuses, se sont emparées de plusieurs lignes de tranchées allemandes et d'un important groupe de maisons, malgré une résistance extrêmement acharnée des défenseurs ennemis surgissant d'abris profonds et de caves. Ont déployé pendant plusieurs heures, dans la défense de ce hameau, d'admirables qualités de bravoure et d'énergie, de ténacité et d'audace. Contraintes par une contre-attaque ennemie de céder le terrain conquis, ne l'ont fait qu'en combattant pied à pied, à la grenade, au fusil, au fusil-mitrailleur et à la mitrailleuse, infligeant ainsi des pertes très élevées. Ont ramené 26 prisonniers.

Relève - Reconstitution du régiment.

(14 avril)

Maintenant, il importe par dessus tout de reconstituer le régiment dont le moral n'a pas été atteint par cet échec. Tous les chefs s'y emploient avec tout leur coeur. Le colonel réunit ses bataillons et, d'une voix vibrante, proclame la reconnaissance que le pays leur doit en récompense de leur énergie et de leur courage. Le général Humbert, commandant la 3e armée, et le général Franchet d'Esperey, commandant le groupe d'armées, viennent successivement féliciter le régiment. L'aumônier Lestrade, l'as des poilus de la DI, célèbre un service solennel. Le colonel passe en revue le régiment qu'il fait défiler devant le drapeau et s'écrie : Cette revue à une autre signification. À nos chefs, elle dit que nous sommes prêt à nouveau à exécuter leurs ordres ; à nos camarades, morts pour la Patrie, que nous avons la résolution de les venger ! Et c'est avec un moral complètement sûr que le 98e remonte bientôt dans le secteur du Pire - Aller, où seule notre artillerie a beaucoup à souffrir des tirs de destruction de l'artillerie allemande.
Le boche réussit pourtant sur nous un coup de main violent et rapide. Nous riposterions, mais le commandement estime qu'il est inutile de s'exposer à perdre des hommes pour la reprise de tranchées avancées de peu d'importance.

Repos.

(mai - juin)

Après un propos relatif dans les ruines de Grand - Sérancourt, nous nous rendons à Villeselve et pour y savourer, jusqu'au 10 juillet, la tranquillité la plus complète, dans la campagne fleurie.
Puis, nous embarquons à Ham pour Vitry le François. Tout près de cette ville, dans le coquet village de Saint-Amand, nous vivons heureux, parmi des habitants très accueillants. Nous y fêtons le 14 juillet.
Toute la division est passée en revue par le général Gratier. Elle défile magnifiquement. Les cantonnements ont été décorés de drapeaux et de guirlandes. Des prix sont donnés par le colonel à ceux qui ont fait preuve du meilleur goût. L'après-midi, une séance récréative est offerte aux habitants et aux poilus ; et, le soir, on danse au son de la musique militaire.
Les jours qui suivent sont employés à l'instruction des spécialités et des cadres. Le programme est varié sans être changé.
Le 23 juillet, la division est passée en revue par le général Gouraud, commandant la 4e armée. L'allure martiale, le regard pénétrant, l'attitude imposante du glorieux mutilé parle plus au coeur des soldats que ne le feraient les discours les plus éloquents.
Vibrants et fiers, nous défilons devant lui et chacun de nous voudrait pouvoir s'écrier, comme les légions romaines en marche vers la victoire : Ave César, morituri te salutant ! Salut César, ceux qui vont mourir te saluent !
Car nous n'ignorons pas que si le général Gouraud est venu nous voir, c'est pour nous électriser, nous envelopper de son fluide et nous promettre à quelque grand destin.

en haut retour

Chapitre VII

1917 -- 28 juillet - 24 décembre

En route vers Verdun.

(28 juillet)

Le régiment est prêt, au moral et au physique, pour les missions les plus dures. Le 28 juillet, les autos nous emportent vers Verdun. Vive est notre émotion en revoyant les villages et la campagne traversée en 1916. Mais les temps sont changés : nous allions alors arrêter la ruée allemande ; maintenant, nous venons ici pour attaquer le boche et donner de l'air à Verdun, l'inviolée. Ah ! ils allaient répétant que la France était veule et pourrie ! Ah ! ils croyaient à l'exactitude du grossier jeu de mots de Bismarck : La France est une nation de zéro et une collection de troupeaux. Nous serons si superbes dans la bataille qu'ils ne pourront s'empêcher d'admirer notre vaillance. Ils en auront un éblouissement douloureux.
Le 1er bataillon est laissé en réserve de Corps d'Armée à Rarécourt. Les 2e et 3e occupent d'abord les camps du Fer à Cheval et de Bretagne, puis remplacent en ligne le 147e et poussent avec une grande énergie les travaux d'aménagement en vue de l'attaque décidée.
Le 10 août, on nous transporte à l'arrière dans la région de Charmontois.
Avec le même soin que pour la préparation d'un coup de main, nous étudions les diverses phases de l'opération prochaine. Les tranchées sont figurées dans une grande prairie, l'avion de la DI participe à nos exercices ; chacun connaît son rôle ; tout est minutieusement réglé.
Le mauvais temps ajourne l'attaque, et notre impatience croît, nous sommes si sûrs de remporter un succès ! Enfin, le 19, on nous conduit au camp du Fer à Cheval où sont distribuées les munitions et vivres en abondance.
L'attaque sera déclenchée le 20 à 4 h 50.
Le 19, à la tombeée de la nuit, les bataillons se dirigent vers les tranchées de départ. L'entrée en secteur est une opération très complexe. Les itinéraires reconnus ne peuvent être suivis. Le bois d'Esnes fourmille de colonnes qui se croisent pour monter au combat ; nombreux et divers sont les convois. L'artillerie allemande bombarde furieusement la nôtre qui fait rage ; les arbres volent en miettes. Il faut s'écarter des zones qu'ont arrosés les obus asphyxiants et l'ypérite ; la nuit est noire ; le vacarme, inexprimable. Un marmitage par obus à gaz coupe en deux le 1er bataillon.
Mais toutes ces difficultés sont vaincues, et vers 2 heures chacun est à sa place de départ, dans des éléments de tranchées ou dans des trous d'obus.

L'attaque - Secteur d'Avocourt.

(20 août)

Le front de départ est de 800 mètres, les derniers objectifs à atteindre sont à 1200 mètres. 1er et 3e bataillons en ligne, 2e en soutien. 4 heures. Les hommes dormaient ; on les éveille. Heure H : 4 h 50. Les poilus jaillissent de leur trou. Le jour n'est pas né. Les vagues suivent de leur mieux sur le sol affreusement bouleversé le barrage roulant.
À gauche, en liaison avec le 105e le bataillon d'Humières (3e) gagne rapidement la lisière du Bois d'Avocourt. La 11e compagnie subit de très grosses pertes, mais, soutenue par la 9e elle continue sa progression. À l'extrême gauche, le peloton des grenadiers d'élite de ce bataillon dépasse la tranchée des Pins, attaque résolument à la grenade l'ouvrage Martin, et s'y installe de haute lutte.
À droite, en liaison avec le 92e le bataillon Le Gouas (1er) s'avance aussi très hardiment. Une première résistance dans la tranchée Gerock est brisée ; les mitrailleurs ennemis sont manoeuvrés et tués sur leurs pièces. Les nettoyeurs font bonne besogne. À 5 h 10, la tranchée des Joncs est atteinte. Debout sur la croupe conquise et se profilant sur le ciel, les hommes semblent grandis dans la brume et la fumée que dore le soleil levant.
Le butin est important : 19 mitrailleuses, 10 canons de tranchées, plus de 300 prisonniers.
La compagnie d'élite de la DI doit dépasser le 1er bataillon et occuper les ouvrages de Vassincourt. Elle ne peut qu'esquisser son mouvement. Arrêtée par une défense énergique de la tranchée Conrad elle perd tous ses officiers et se replie.
Les objectifs sont conquis ; il faut maintenant les conserver. Minutieusement est organisée la liaison entre l'artillerie et l'infanterie. À 3 reprises l'ennemi contre-attaque. Mais nos feux l'arrêtent et le contraignent à refluer en désordre. Rageusement, il nous bombarde, nous tue des hommes, mais il ne peut nous empêcher de consolider nos positions.
Un vide s'est créé entre le 1er bataillon et le 92e RI. Au prix des plus lourdes fatigues, dans la nuit très noire, sous un bombardement intense, sur un sol inconnu d'elle et fait de trous d'obus sécants, la compagnie Belin, du bataillon Lyet (2e) peut parvenir à le boucher vers 2 heures du matin. Il était temps ! Un bataillon ennemi, tout frais, contre-attaque à l'aube. Nos fusées montent au ciel. Immédiatement, notre artillerie plaque son barrage puissant. C'est un spectacle inoubliable, une illumination de féerie. Nos obus hachent en deux le bataillon boche. Les vagues, qui ont dépassé notre barrage, tentent de nous envahir, mais, debout, baïonnette au canon, nous les recevons. Dans la fumée blanche de nos grenades, on voit des centaines de bras tendus. Les Allemands font Kamarad. De ce bataillon tout neuf et qui voulait nous dévorer, il ne reste que des prisonniers et des cadavres.
D'heureuses opérations de détail sont faites sur la tranchée des Platanes (7e compagnie) et les abris de Vassincourt (grenadiers d'élite du 2e bataillon).
La relève ! oh ! qu'elle vienne ! Nous sommes presque épuisés et plein de poux. Mais le commandement ne peut nous satisfaire. Nous tenons. Enfin, le 30 août, le 328e nous remplace.

Relève.

(30 août)

Après un court arrêt au camp des Pommiers, nous embarquons en auto pour Viel, Dampierre, Sivry sur Ante et Braux St Rémy.
La brillante conduite du régiment est récompensée par une citation à l'ordre de l'armée :
Les 20 et 21 août 1917, sous les ordres du lieutenant colonel Gaube, le 98e a enlevé vigoureusement les objectifs qui lui étaient assignés, capturant plus de 300 prisonniers et ramenant 19 mitrailleuses et 10 canons de tranchée. À repousser deux fortes contre-attaques en faisant de nouveaux prisonniers et, par un vigoureux retour offensif, a enlevé un ouvrage où il s'est installé dans une excellente situation tactique.
Le 25, a poussé une pointe hardie dans les organisations ennemies fortement occupées, y a détruit des abris et du matériel et ramené d'autres prisonniers.
Ses exploits nous ont coûté 106 tués, dont 8 officiers et 12 sous-officiers, 315 blessés, dont 9 officiers et 38 sous-officiers.
Bismarck, les soldats du 98e sont des Français de pur sang ! Ils te prouvent que la France n'est pas nation de zéros.

L'Argonne.

(24 septembre)

Le 24 septembre, nous allons en Argonne occuper le secteur de la Fille-Morte. C'est le calme presque complet. La vie est douce.
Une des particularités du secteur est l'organisation de la guerre des mines. Les sous-sols sont sillonnés des galeries où, nuits et jours, français et allemands poussent des ramifications et créer des fourneaux. Presque tous les matins, vers 3 heures, une mine explose. On le sait ; aussi les petits postes sont-ils repliés sur la ligne de doublement.
Nous faisons des coups de main. Puis c'est un repos de 20 jours aux Senades et la montée en secteur Argonne Ouest, entre la Fille-Morte et le Four de Paris. La lutte y fut dure jadis. Les Italiens de Garibaldi enterrés à la Chalade parmi les Français nous le prouvent.
C'est l'époque des îlots de résistance ceinturés de fil de fer barbelés et de portes annamites. Nouveau, difficile, périlleux, imprécis, ce travail absorbe beaucoup de temps et d'efforts.
Relativement tranquilles, les Allemands font pourtant, le 24 novembre, un violent coup de main. Notre belle attitude en a raison. En réponse, le 5 décembre, le 1er bataillon en déclenche un à son tour. Les objectifs sont atteints, mais le boche s'est retiré. Si nous ne faisons pas de prisonniers, nous n'avons pas, du moins, a déploré des pertes. Après quelques jours de repos dans la région de Condé en Barrois, nous partons en auto pour Verdun.

en haut retour

Chapitre VIII

1917 - 1918 -- 25 décembre - 15 avril

Bezonvaux - Bois des Caurières.

(25 décembre)

Quel soldat français, venu dans ces secteurs, peut prononcer ce nom sans frémir ? En notre glorieux vagabondage sur le front de bataille, nous avons partout souffert, et pas peu certes ; mais n'est-ce pas ici que nous avons enduré les pires misères ?
Nous y sommes le 25 décembre, entre 17 et 19 heures. Nous nous en souviendrons ! C'est probablement l'heure de la soupe chez les boches, en tout cas, on ne peut circuler que pendant ces 2 heures entre le PC du colonel et le PC des chefs de bataillon, qui sont en toute 1ère ligne avec, derrière eux, le ravin d'Hassoule.
Toute la nuit, les rafales d'artillerie fauchent les pistes et gênent les ravitaillements. Les 2 bataillons de lignes sont complètement livrés à eux-mêmes.
Le jour, du haut de son observatoire des jumelles d'Ornes, l'ennemi voit nos moindres mouvements. Nos éléments de tranchées n'ont pas un mètre de profondeur ; il fait 18° au-dessous de zéro ; les pioches se cassent sans entamer le sol, la neige recouvre pistes et boyaux ; les abris sont des descenderies, force nous est d'habiter les trous d'obus ; les gros minen soufflent, comme des fétus de paille, les barbelés et les lignes téléphoniques. Mais nous avons des chiens. Les admirables bêtes, que de vies humaines elles ont économisées ! Dresser à faire l'aller et le retour, elles nous mettaient en liaison, dix fois par jour, avec le coeur du régiment, le PC du colonel.
Chaque jour, l'ennemi fait un coup de main sur nos voisins ou sur nous. Le 26, à 14 heures, deux bataillons, dont un de strosstrup avec des mitrailleuses, des sapeurs du génie, etc..., plus de 1000 hommes, attaque notre 3e bataillon. Deux saucisses observent, 4 avions nous survolent ; un formidable barrage d'obus de tous calibres isole le bataillon ; des minen de 240 écrasent les tranchées. L'opération dure au plus 10 minutes. La 11e perd la moitié de son effectif ; la 10e à 26 hommes hors de combat, la CM3 en a 17 ; 2 officiers sont tués et 3 blessés.
Le froid se fait de plus en plus vif. Immobiles dans les trous d'obus, beaucoup d'hommes ont les pieds gelés.
Quelques jours de repos à Dugny nous font un bien extrême ; et nous fêtons joyeusement le nouvel an grâce à la coopérative divisionnaire très bien achalandée.
Quand nous remontons en secteur à la neige tombe ; les effectifs fondent.

Secteur de Vaux.

(1er février)

Heureusement que bientôt nous glissons dans le secteur Damloup et Vaux. Ici, c'est le calme parfait et la sécurité.
Nous dominons la Woëvre. Où est l'ennemi dans cette plaine immense ? Toutes les nuits, nous tentons des embuscades. Un coup de main est fait sur le Bois de la Plume, mais sans grand résultat. Nous n'en rapportons que des papiers trouvés dans un abri.
Bien que la vie matérielle dans le secteur de Vaux fût supportable malgré les brumes glaciales, c'est avec joie que nous vîmes arriver la relève. Notre coeur se serrait à la vue des cheminées toujours fumantes de la région de Briey ; à l'horizon, c'était une circulation ininterrompue de trains. Nous aurions voulu que notre artillerie et notre aviation puissent interdire cette activité. Et notre tristesse augmentait du bouleversement inouï, à nul autre comparable, du sol où nous habitions, parmi les morts. Pas un trou d'obus sans un débris humain, où un effet d'équipement, ou un projectile non éclaté. C'était le fumier, le charnier de la guerre dans son horreur inexprimable.

Repos.

(7 février)

Février nous voit dans l'hospitalière région de Vitry en Perthois et Merlaut. Nous y jouissons d'un excellent repos jusqu'à la fin du mois.

Travaux de 2e ligne.

(28 février)

Nous sommes transportés ensuite par auto dans la région de Sainte Menehould, d'abord à Florent, puis à la Grange aux Bois ; nos hommes sont encouragés par des primes spéciales ; on obtient un rendement maximum dans l'exécution de travaux de seconde ligne.

Secteur en Argonne Ouest.

(29 mars)

Nous reprenons pendant 3 semaines le secteur Argonne Ouest que nous connaissions bien pour l'avoir déjà occupé, mais auquel la répartition des troupes en profondeur donne une physionomie tout à fait nouvelle. Relevés par le 10e tirailleurs, nous allons cantonner pendant quelques jours dans la région Brocourt, Jubécourt, Auzeville. Le 15, nous partons pour le camp de Nixeville.

en haut retour

Chapitre IX

1918 -- 16 avril - 26 juillet

Secteur de la Côte de l'Oie.

(16 avril - 18 juillet)

Le régiment va relever, le 16 avril, le 160e RI, dans le secteur de la côte de l'Oie, sur la rive gauche de la Meuse. Ce n'est pas sans émotion que, sous les ruines amoncelées, nous retrouvons les villages de Cumières et de Chattancourt, que nous traversions à toute allure en 1916.
Tout est tranquille maintenant dans cette région, même le Mort-Homme. Mais la physionomie des secteurs s'est grandement modifiée ; nous tenons la côte de l'Oie ; les Allemands sont au-delà du ruisseau de Forges. Le no man's land est très large ; il atteint 3 km en certains points. Le boche resterait volontiers tranquille, mais le terrain est tellement favorable aux excursions que nous ne lui laissons point de répit et que chaque nuit nous faisons de petites reconnaissances qui l'énervent, confirment le vigoureux esprit offensif de nos poilus et les maintiennent en forme.
L'action de l'artillerie allemande est peu considérable, aussi nous pouvons réaliser presque sans perte une organisation nouvelle en vue de la plus grande économie des forces.
Il s'agit de créer une grande profondeur par un échelonnement considérable des troupes, de conserver à la position toute sa force de résistance, en faisant occuper par des effectifs strictement nécessaires des points judicieusement choisis ; on pourra de cette façon faire des économies de troupes, qui grossiront les réserves dont le commandement supérieur a besoin pour parer aux attaques boches, d'où qu'elles viennent.
La profondeur du secteur est donc considérablement augmentée ; le PC du colonel est porté aux Bois Bourrus, à 6 km des tranchées ; le service des liaisons en est rendu très pénible. Heureusement, nos chiens de liaison, si parfaitement dressés au transport des plis de services dans les 2 sens, quelle que soit la distance à parcourir, sont de très précieux auxiliaires dont l'instinct nous sert merveilleusement.
Le bataillon qui est en réserve trouve à Jardin-Fontaine, près de Verdun, où il prend son repos, un cantonnement presque confortable ; chacun est heureux d'y oublier, au milieu de la verdure et des fleurs de ce début de printemps, le spectacle désolé des premières lignes. Le cinéma a installé à la Citadelle procura nos hommes quelques distractions. Nous avons là une détente qui est mise à profit pour développer, au cours d'exercices et d'enseignements continuels, l'instruction du groupe de combat en vue des opérations prochaines.

Instruction du groupe de combat.

Cette conception du rôle du GC dans la défensive est une méthode tout à fait nouvelle et constitue une véritable révolution. Au lieu de se renfermer dans la tranchée pour y combattre et y tenir malgré les terribles effets des tirs d'artillerie exactement réglés sur des objectifs faciles à repérer, on sort maintenant des boyaux et tranchées pour recevoir l'attaque et on se confond avec le sol en occupant les trous de marmites dispersés dans la plaine. Il faut toute l'énergie du colonel pour convaincre les officiers des avantages de la nouvelle méthode, mais, dès que ce résultat est acquis, les travaux nécessaires sont réalisés avec une ardeur splendide et une extrême rapidité. Les corvées ne vont-elles pas chaque nuit prélever dans les tranchées et abris du no man's land et jusque sous le nez des boches, les nombreux matériaux dont elles ont besoin : planches, traverses, ... et que le génie ne parvient pas à leur procurer. L'instruction du GC est donc poussée à fond ; le mécanisme de son action, combinée avec les mitrailleuses et les FM, puis avec le mortier JD dont nous venons d'être dotés, est pratiquement démontré et bientôt connu de tous ; cadres et hommes y acquièrent la notion très ferme de l'énorme puissance de l'infanterie qui sait utiliser tous ses moyens.
Nous ne serons certes pas pris au dépourvu si l'ennemi veut nous assaillir. Et voici que, vers la fin de juin, les renseignements recueillis auprès de prisonniers allemands nous amènent à considérer une attaque ennemie comme imminente, encore que nous n'ayons relevé sur notre front aucun indice spécial. Le 26, nous sommes alertés, mais comme tout a été prévu, étudié, préparé, et que nous sommes fin prêts, nous attendons avec confiance les événements.
Dès la tombée de la nuit, on occupe les trous d'obus, on les améliore ; les réseaux protecteurs sont renforcés ; tout le monde veille ; à l'aube, les hommes vont se reposer dans les abris ou nichettes individuelles des tranchées et boyaux. Mais des guetteurs protègent leur sommeil.
Quel est donc celui d'entre nous qui, au cours de ces veillées d'armes, n'a pas désiré être attaqué ; quel est le chef qui, sûr de ses moyens d'action, ne se promettait pas de faire mordre la poussière aux assaillants, si nombreux fussent-ils, qui oserait se frotter à son GC.

Attaque en Champagne.

(15 juillet)

Enfin, le 15 juillet, vers minuit, du côté de la Champagne, l'horizon s'allume brusquement ; une tempête de grosse artillerie envoie jusqu'à nous les échos de ses tonnerres ; le boche s'est décidé à attaquer. Nous passons le reste de la nuit en alerte.
Le 16, aucun incident ne s'est produit dans notre secteur. Nous nous trouvons donc en dehors du front d'attaque, et nous souffrons déjà de notre inaction. Quoi ? Nous resterions sans gloire, dans un secteur pépère, alors que des camarades se battent et sauvent la France de la dernière ruée allemande ? Ce n'est pas possible, nous valons mieux que cela. Bientôt nos plus chers désirs vont se réaliser.

En route vers l'Aisne pour la bataille.

(19-26 juillet)

Relevés le 18 par le 12e cuirassiers à pied, nous sommes embarqués le 20 en chemin de fer et arrivons à Verberie, par Revigny ; puis, par étapes, nous atteignons Breuil, sur l'Aisne, par Pierrefonds. Pendant ces quelques nuits de trajet, nous éprouvons au maximum cette désagréable sensation d'être surveillés, suivis, poursuivis, survolés, menacés et harcelés sur les voies ferrées, les routes et dans les cantonnements par les noirs avions boches. Ces rapaces nocturnes, favorisés par un ciel clair, balaient copieusement et sans répit les voies de communication de leurs bombes et de leurs balles de mitrailleuses.
Mais, en cours de route, nous avons appris que la terrible attaque de l'ennemi était venue se briser nette en Champagne sur l'armée Gouraud, et que, refoulé vers Soissons, l'allemand maudit va être fatalement amené à battre en retraite et à regagner au plus vite ses anciennes positions sur l'Aisne. Et c'est dans cette région de Soissons que nous allons à notre tour entrer dans la bataille ! !
A Breuil, nous avons utilisé les 2 jours d'arrêt pour nous compléter en vivres et munitions ; nos hommes s'y sont trouvés en contact avec les Écossais, dont la tenue pittoresque et la musique originale leur ont procuré une distraction inattendue. Nous quittons cet excellent cantonnement et gagnons par Soucy, Longpont, Louatre et Violaines, les positions d'avant-postes. Le régiment relève les débris de 48e RI et 233e RI qui ont tellement souffert aux attaques et à la rivière de Plessier-Huleux, qu'un seul de nos bataillons suffit à relever les 2 régiments.
Nous sommes à pied d'oeuvre, face à la bête de proie, qui, menacée dans sa retraite par notre pression violente et continue, usera, pour se défendre jusqu'à son dernier souffle, de ses moyens puissants et barbares.
Mais, dès maintenant, elle est à nous, elle ne peut nous échapper, nous l'écraserons et nous en débarrasserons le sol sacré de la France qu'elle souille depuis si longtemps.

en haut retour

Chapitre X

1918 -- 27 juillet - 11 Novembre

Secteur Plessier-Huleux. La relève a lieu dans la nuit du 26 aux 27.

(26 juillet - 1er août)

Le Plessier-Huleux n'est qu'un amoncellement de ruines fumantes ; la plus grande partie du régiment trouve néanmoins à s'y abriter, en déblayant avec une rapidité grande les rares caves qui ne sont pas complètement effondrées. Le sol est jonché de cadavres, d'armes, de tanks abandonnés. Largement échelonnée, le régiment n'a que quelques éléments en avant-poste, mais les reconnaissances de toute nature sont lancées sans perte de temps, les positions de combat sont reconnues, car nous devons être prêts à tout instant à assaillir l'ennemi, auquel nous ne laisserons dorénavant aucun répit.
Nous appartenons à l'armée Mangin.

Flanc-Garde des 9e compagnie et CM3.

(29 juillet)

Le 29 juillet, les 16e et 105e RI attaquent Grand Rozoy et les observatoires de la côte 205 ; sur la demande spéciale du lieutenant-colonel Gaube, la 9e compagnie et la CM3 du régiment participe à l'action et reçoivent la mission de flanc-garder à gauche le 105e et de le préserver de surprises possibles du côté du bois de Saint-Jean. La mission est des plus difficiles ; elle est brillamment remplie grâce à l'intelligence des chefs, à l'ardeur des hommes et à la haute valeur de tous. Le feu terrible de l'artillerie, la nappe de plomb que lancent les mitrailleuses dissimulées, la résistance extrême des défenseurs, rien n'arrête nos deux bouillantes unités dans leur progression ; elles atteignent l'objectif fixé, le conservent malgré 2 contre-attaques successives, causent à l'ennemi des pertes sévères, font 40 prisonniers, dont 3 officiers, et ramènent 6 mitrailleuses lourdes.
Le capitaine Chazallet, qui a commandé le détachement, reçoit la croix de la Légion d'honneur.
Le 16e RI, qui avait enlevé le village de Grand Rozoy, est soumis à de puissantes contre-attaques qui lui arrachent les positions conquises et le place dans une situation difficile.

Reprise de Grand Rozoy

(30 juillet)

Le lieutenant-colonel Gaube propose au commandement un plan d'attaque qui est accepté ; il lance alors ses bataillons devenus libres sur le front occupé par le 16e RI, dépasse ce régiment et assure une occupation continue entre le 105e à gauche et les Anglais à droite. La 5e compagnie, dans une pointe hardie, reprend pied dans Grand Rozoy et, le lendemain matin, le 98e occupe le village entier, puis il poursuit son offensive.

Enlèvement de la crête des Observatoires.

(1er-10 août)

Dans une atmosphère ampuantie par les barrages d'obus toxiques, les 2 bataillons d'attaque bousculent le boche et s'emparent de l'objectif assigné (la ligne des Observatoires) ; nos pertes sont cruelles ; les commandants Le Gouas et Taulier sont blessés ; mais le régiment, en achetant si cher son beau succès, a donné une fois de plus la mesure de sa haute valeur.
La 127e DI nous double sans pouvoir nous dépasser.

La poursuite.

(11 août - 3 septembre)

A la nuit, nous nous reportons en arrière et quelques heures plus tard le 98e avant-garde de la division, reçoit l'ordre de poursuivre l'ennemi dans une nouvelle direction, car l'Allemand bat en retraite. Cette mission de poursuite nous remplit d'une folle joie, malgré notre extrême fatigue. Nous marchons dans l'ivresse du triomphe et pendant 2 mois nous n'allons plus lâcher prise ; nous déchiqueterons les arrière-gardes allemandes. Ce sont des alternatives de vives actions, de bonds en avant et d'arrêts sous le feu violent des canons et des mitrailleuses ennemies.
Palteau de Violaines, Cuiry-House, Cerseuil, La Vesle, marquent les diverses étapes de notre progression.
Le 13 août, le lieutenant-colonel Gaube est blessé à la jambe et évacué, et le commandant d'Hummières prend le commandement du régiment.
Depuis le 27 juillet jusqu'au 4 septembre, nous sommes restés accrochés à l'ennemi, sans relève possible ; nous avons été soumis à un bombardement écrasant et continu d'obus à gaz. Comme on ne peut vivre indéfiniment sous le masque, nos hommes ont tous étés peu à peu intoxiqués : ils ont les paupières boursouflées, ils toussent éperdument, n'ont plus d'appétit, et, chose à peine croyable, ils renâclent au pinard ! C'est dire à quel degré de fatigue nous sommes arrivés ; et cependant, les évacuations sont rares ; tous, chefs et soldats, tiennent énergiquement ; on réussit à force de dévouement et d'ingéniosité à donner du lait et des boissons chaudes aux plus atteints. Grâce à la ténacité de chacun, nous avons encore des effectifs raisonnables qui nous font attribuer une part élevée dans tous les emplois de la DI, mais nous sommes fiers, à juste titre, d'avoir su vaincre toutes ces misères accumulées et d'être restés à notre poste. Le 18 août, le régiment est cité à l'ordre de l'armée pour sa belle conduite :
Régiment qui s'est maintes fois signalé au cours de la campagne. Lors des récents combats, sous les ordres du lieutenant colonel Gaube, après avoir conquis, les 29 et 30 juillet 1918, un important point d'appui sur le flanc de l'attaque principale, a enlevé d'un seul élan, le 1er août 1918, la crête des observatoires ennemis, malgré une résistance acharnée, et repoussé les violentes contre-attaques poursuivies sans succès par l'ennemi au cours de la journée. À capturer 150 prisonniers, 76 mitrailleuses et 4 minen. Les 2 et 3 août, a marché à l'avant-garde de la division et conduit avec vigueur le combat de jour et de nuit, refoulant les arrière-gardes ennemies au nord de la Vesle.
Cette deuxième citation donne droit au port de la fourragère aux couleurs de la croix de guerre.

Franchissement de la Vesle. Tête de pont au-delà du canal.

(4-13 septembre)

Prise de Vailly.

(15 septembre)

A partir du 4 septembre, le passage de la Vesle est forcé ; le 5, nous bousculons l'ennemi au-delà du canal de l'Aisne et nous prenons pied bientôt au nord du canal. Le 2e bataillon, mis à disposition de la 162e DI, se comporte brillamment à la prise du Moulin de Saint-Pierre ; puis le régiment, dans une âpre lutte, arrache Vailly à ses défenseurs qui prennent une fuite éperdue.
L'ennemi prononce bientôt une puissante attaque sur notre front entre l'Aisne et la Ferme de la Rivière ; il ne réussit point, comme il le désirait, à nous rejeter au sud de l'Aisne, toutefois quelques-uns de nos postes ont dû se replier sous la violence de la poussée et de l'énormité des moyens employés. Nos fractions de réserve interviennent avec beaucoup de décision et rétablissent la situation ; enfin, grâce à notre énergie tenace, nous finissons par reprendre morceau par morceau presque intégralement le terrain perdu.

Repli des Allemands.

(28 septembre)

Aussi bien, les boches sont essoufflés, cela se sent ; le 28, ils commencent un nouveau repli, nous les talonnons et avons l'indicible joie de voir un de leurs bataillons fuir vers Ostel, dans le plus grand désordre.
Tu vois Fritz, s'il met les bouts de bois, disent joyeusement nos hommes. Ils veulent s'accrocher de nouveau, mais une fois encore nous leur imposons notre volonté et nous leur enlevons Ostel et Perche. Nous les possédons !
Depuis 2 mois, nous les avons refoulés sur 35 km de profondeur, nous leur avons enlevé successivement une forte position, 2 rivières et 1 canal : les 5 régiments, dont un de la Garde qui nous étaient opposés ont été successivement battus.
Nous avons fait 300 prisonniers et pris un nombreux matériel. Le régiment reçoit une 3e citation à l'ordre de l'armée en récompense des beaux résultats obtenus :
Après avoir battu, le 1er août 1918, et mis en fuite, sous le commandement du lieutenant-colonel Gaube, un régiment de la Garde allemande, a, sous le commandement du chef d'escadron d'Humières, remplaçant le lieutenant-colonel Gaube, blessé le 12 août 1918, poursuivi et talonné pendant 2 mois consécutifs, sans trêve et sans repos, 3 autres régiments ennemis, en leur infligeant de lourdes pertes ; a traversé, au cours de la poursuite, 2 rivières et 1 canal âprement défendus et s'est emparé du village de Vailly en y organisant une solide tête de pont. À capturer 100 prisonniers, un grand nombre de mitrailleuses, de canons de tranchée, d'armes précipitamment abandonnées par l'ennemi dans sa retraite.

Relèves et repos.

(30 septembre - 22 octobre)

Les 29 et 30 septembre, nous sommes enfin relevés et il était temps, car nous avions donné sans compter tout le meilleur de nous-mêmes et nous étions à bout de forces.



en haut retour